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Seraphin Rehbinder
Une pétition a été lancée sur Internet contre le jugement attribuant à la Fédération de Russie la cathédrale russe de Nice. J’ai lu soigneusement les commentaires laissés par certains signataires de la pétition parce que je me suis demandé quelles pouvaient être les motivations profondes de ceux qui s’indignent autant des décisions de la justice française.
Le premier thème, qui revient le plus souvent, est une assimilation de l’Etat russe actuel au pouvoir soviétique communiste. «… lamentable de voir les soviétiques … vouloir s’approprier… », « .. à quand les chars devant la promenade des Anglais … », « arrêtons l’invasion sournoise et totalitaire des « faux post-communistes», « après toutes les victimes du communisme ils n’ont aucun droit d’agir… » etc
Autre particularité, il n’est en général fait aucune différence entre l’Etat russe et l’Eglise russe. En l’occurrence, c’est la Fédération de Russie qui veut faire valoir ses droits de propriété, mais on s’en prend à l’Eglise russe : « j’ai très honte pour l’Eglise à laquelle j’appartiens… » « je pense qu’il faudrait… lancer une pétition contre toutes les attaques du Patriarcat de Moscou… »
Une pétition a été lancée sur Internet contre le jugement attribuant à la Fédération de Russie la cathédrale russe de Nice. J’ai lu soigneusement les commentaires laissés par certains signataires de la pétition parce que je me suis demandé quelles pouvaient être les motivations profondes de ceux qui s’indignent autant des décisions de la justice française.
Le premier thème, qui revient le plus souvent, est une assimilation de l’Etat russe actuel au pouvoir soviétique communiste. «… lamentable de voir les soviétiques … vouloir s’approprier… », « .. à quand les chars devant la promenade des Anglais … », « arrêtons l’invasion sournoise et totalitaire des « faux post-communistes», « après toutes les victimes du communisme ils n’ont aucun droit d’agir… » etc
Autre particularité, il n’est en général fait aucune différence entre l’Etat russe et l’Eglise russe. En l’occurrence, c’est la Fédération de Russie qui veut faire valoir ses droits de propriété, mais on s’en prend à l’Eglise russe : « j’ai très honte pour l’Eglise à laquelle j’appartiens… » « je pense qu’il faudrait… lancer une pétition contre toutes les attaques du Patriarcat de Moscou… »
Un autre thème récurrent est celui de l’entretien de la cathédrale par les émigrés pendant 90 ans qui leur donnerait le droit de propriété sur cette cathédrale. « Durant 90 ans l’Association cultuelle orthodoxe de Nice (ACOR) a géré la cathédrale… » , « Que les générations disparues qui ont permis d’entretenir cette cathédrale, souvent au prix de sacrifices… », « la cathédrale appartient à ceux qui la font vivre… »
Mais certains Français voient les choses différemment : « ... la France, le département et la ville de Nice financent depuis un siècle une partie non négligeable des frais de fonctionnement de cet édifice… ». Quelques-uns en concluent que « notre cathédrale russe appartient à la France et fait partie du patrimoine niçois.. » Remarquons au passage que personne ne mentionne les visiteurs de la cathédrale (Français, Russes, Italiens et autres) qui, en payant leur billet d’entrée, comme dans un musée, ont permis à cette paroisse d’être la seule dans tout l’Archevêché à vivre sans problèmes financiers et rémunérer, à un niveau normal, plusieurs salariés qui assurent des tâches accomplies bénévolement dans d’autres paroisses.
On le voit, ces arguments, comme beaucoup d’autres, sont très passionnels.
Ils ne reposent pas sur des raisonnements rationnels mais sur des sentiments, des indignations, des émotions. Sauf rares exceptions, le fond du problème, et du raisonnement juridique formulé par le tribunal, ne sont pas du tout abordés. Ces attitudes passionnelles ont sans doute été favorisées par la stratégie développées par l’Acor (association cultuelle orthodoxe russe de Nice). Dans son intervention, faites au micro d’une radio locale après le prononcé du jugement, le recteur de la paroisse s’est efforcé, durant un quart d’heure, d’aviver le ressentiment contre l’attitude de la Russie jugée scandaleuse et indigne, sans mentionner une seule fois le fondement de la revendication, à savoir l’existence d’un bail emphytéotique qui avait confié à l’Eglise russe en 1909 la disposition de cet ensemble pour 99 ans.
Mais au-delà de ces circonstances conjoncturelles, il est intéressant de se demander d’où peut venir ce déni des changements liés à la chute du régime soviétique qui semble être au centre des réactions des signataires de la pétition. De même que l’attente du second et glorieux avènement du Christ, caractéristique des premiers chrétiens, a parfois été remplacée par la crainte « de la fin du monde », de même l’attente d’une libération de la Russie, propre aux réfugiés de la première heure, à été progressivement remplacée par « la crainte de la fin de l’émigration »
Si l’état de réfugié est particulièrement pénible au début avec ses difficultés d’adaptation et sa souffrance d’être éloigné de sa patrie, ces tourments s’estompent avec les années et surtout avec les générations. Dès lors, l’appartenance à l’émigration devient une « identité », peut-être même assez confortable, car elle permet l’intégration dans un groupe aux liens forts et spécifiques et elle donne une certaine liberté par rapport au pays d’accueil comme à celui d’origine.
La chute du pouvoir soviétique tend à détruire cette situation identitaire en obligeant de se restituer par rapport aux deux pays en choisissant l’un ou l’autre et donc d’abandonner cette position un peu « extérieure » aux deux. Et l’expérience montre que, les rigidités mentales aidant, ce n’est pas si facile à faire. De là vient sans doute cette tendance à nier les faits, à considérer, contre toute évidence, que la Russie actuelle est en tout point semblable à l’URSS de Staline. Cela permet de garder intactes les conditions de cette identité de « Russe blanc »
Cette attitude trouve du reste un puissant adjuvant dans les tendances « anti-russes » qui se manifestent en « Occident ». Certains pensent qu’il ne faut surtout pas laisser se reconstituer un ensemble fort, sur les ruines de l’Union soviétique. Cette opinion gouvernait jusqu’à présent la politique de l’Amérique (1), (mais peut-être cela va-t-il changer avec le nouveau président de ce pays ?). En Europe, les avis sont plus partagés. Mais il existe des opinions anti- russes que colportent souvent des médias (comme le « Nouvel Observateur ») ou des personnes (comme André Glucksmann) qui, paradoxalement, furent souvent à penchants marxistes (-léninistes-maoïstes) du temps des Soviets.
Ils tendent par exemple à attribuer à l’ « ours russe » tous les méfaits du communisme, oubliant par exemple que Staline, Béria, Chevarnadzé étaient géorgiens, Dzerjinsky, polonais, Khrouchtchev, ukrainien, Gromyko, biélorusse, etc. Mais cette assimilation du pouvoir soviétique à la Russie, particulièrement pernicieuse, sert actuellement à exciter les différents pays issus de l’Union Soviétique et les autres pays victimes du communisme contre la Russie, dont le peuple est pourtant, sans doute, celui qui a le plus souffert de ces aberrations marxistes et bolcheviques du 20iéme siècle
Quoiqu’il en soit, nos descendants d’émigrés, qui continuent à penser en termes de « soviétiques » vis-à-vis des russes actuels, trouvent un écho favorable auprès de ceux qui, en Occident, professent des idées russophobes, et cet accueil favorable les conforte probablement dans leur vision. Or assimiler les Russes actuels aux bolcheviques est particulièrement odieux car c’est assimiler, dans une large mesure, les victimes aux bourreaux.
On remarquera en outre que tous ces arguments sont essentiellement politiques et non ecclésiaux. Dans ce dernier domaine, l’attitude la plus courante des opposants aux conclusions du tribunal de Nice consiste à nier l’existence même d’une Eglise russe et de considérer que le Patriarcat de Moscou n’est que le rouage d’un système « soviéto-mafieux » contrôlé par le KGB, et j’exagère à peine. De toute façon, cela reste « l’ennemi ». Mais l’Eglise de Russie est l’Eglise des martyrs, et ces martyrs sont aussi les nôtres. Leur sang n’a pas encore séché. Et l’Eglise se relève, avec peine, de toutes les persécutions qu’elle a subies. Elle s’efforce courageusement d’apporter la lumière du Christ à un peuple russe complètement désorienté, mais qui semble bien écouter de nouveau la mission de l’Eglise. Chercher des noises à cette Eglise, dont nous sommes issus nous aussi, se sentir agressé par elle, est une façon bien singulière de se réjouir que toutes ces souffrances soient enfin terminées.
A la vérité, il est tout à fait possible de vivre son identité de « Russe blanc » et se réjouir que la Russie actuelle cherche à renouer avec son passé pré-révolutionnaire, qui est aussi le nôtre. Elle s’implique en effet à ce point, qu’elle souhaite assumer à nouveau les destinées de la cathédrale, malgré les frais importants que cela implique, y faire assurer des offices plus fréquents et renoncer à faire payer par les touristes l’entretien du lieu de culte des orthodoxes de la région.
Il est bien évident que la situation actuelle, pour compliquée qu’elle soit, est loin d’être insoluble si on l’abordait avec tant soit peu de respect des opinions d’autrui et d’esprit de compromis.
Séraphin Rehbinder
Juin 2010
.................................................
(1) Voir par exemple le discours secret du président Clinton devant les chefs d’état-major, du 25 octobre 1995, qui détaille les dizaines de milliards de dollars consacrés à cette tâche et déclare qu’il reste à fractionner la Russie en plusieurs petits états, par des guerres interrégionales, comme cela fut fait en ex-Yougoslavie.
Mais certains Français voient les choses différemment : « ... la France, le département et la ville de Nice financent depuis un siècle une partie non négligeable des frais de fonctionnement de cet édifice… ». Quelques-uns en concluent que « notre cathédrale russe appartient à la France et fait partie du patrimoine niçois.. » Remarquons au passage que personne ne mentionne les visiteurs de la cathédrale (Français, Russes, Italiens et autres) qui, en payant leur billet d’entrée, comme dans un musée, ont permis à cette paroisse d’être la seule dans tout l’Archevêché à vivre sans problèmes financiers et rémunérer, à un niveau normal, plusieurs salariés qui assurent des tâches accomplies bénévolement dans d’autres paroisses.
On le voit, ces arguments, comme beaucoup d’autres, sont très passionnels.
Ils ne reposent pas sur des raisonnements rationnels mais sur des sentiments, des indignations, des émotions. Sauf rares exceptions, le fond du problème, et du raisonnement juridique formulé par le tribunal, ne sont pas du tout abordés. Ces attitudes passionnelles ont sans doute été favorisées par la stratégie développées par l’Acor (association cultuelle orthodoxe russe de Nice). Dans son intervention, faites au micro d’une radio locale après le prononcé du jugement, le recteur de la paroisse s’est efforcé, durant un quart d’heure, d’aviver le ressentiment contre l’attitude de la Russie jugée scandaleuse et indigne, sans mentionner une seule fois le fondement de la revendication, à savoir l’existence d’un bail emphytéotique qui avait confié à l’Eglise russe en 1909 la disposition de cet ensemble pour 99 ans.
Mais au-delà de ces circonstances conjoncturelles, il est intéressant de se demander d’où peut venir ce déni des changements liés à la chute du régime soviétique qui semble être au centre des réactions des signataires de la pétition. De même que l’attente du second et glorieux avènement du Christ, caractéristique des premiers chrétiens, a parfois été remplacée par la crainte « de la fin du monde », de même l’attente d’une libération de la Russie, propre aux réfugiés de la première heure, à été progressivement remplacée par « la crainte de la fin de l’émigration »
Si l’état de réfugié est particulièrement pénible au début avec ses difficultés d’adaptation et sa souffrance d’être éloigné de sa patrie, ces tourments s’estompent avec les années et surtout avec les générations. Dès lors, l’appartenance à l’émigration devient une « identité », peut-être même assez confortable, car elle permet l’intégration dans un groupe aux liens forts et spécifiques et elle donne une certaine liberté par rapport au pays d’accueil comme à celui d’origine.
La chute du pouvoir soviétique tend à détruire cette situation identitaire en obligeant de se restituer par rapport aux deux pays en choisissant l’un ou l’autre et donc d’abandonner cette position un peu « extérieure » aux deux. Et l’expérience montre que, les rigidités mentales aidant, ce n’est pas si facile à faire. De là vient sans doute cette tendance à nier les faits, à considérer, contre toute évidence, que la Russie actuelle est en tout point semblable à l’URSS de Staline. Cela permet de garder intactes les conditions de cette identité de « Russe blanc »
Cette attitude trouve du reste un puissant adjuvant dans les tendances « anti-russes » qui se manifestent en « Occident ». Certains pensent qu’il ne faut surtout pas laisser se reconstituer un ensemble fort, sur les ruines de l’Union soviétique. Cette opinion gouvernait jusqu’à présent la politique de l’Amérique (1), (mais peut-être cela va-t-il changer avec le nouveau président de ce pays ?). En Europe, les avis sont plus partagés. Mais il existe des opinions anti- russes que colportent souvent des médias (comme le « Nouvel Observateur ») ou des personnes (comme André Glucksmann) qui, paradoxalement, furent souvent à penchants marxistes (-léninistes-maoïstes) du temps des Soviets.
Ils tendent par exemple à attribuer à l’ « ours russe » tous les méfaits du communisme, oubliant par exemple que Staline, Béria, Chevarnadzé étaient géorgiens, Dzerjinsky, polonais, Khrouchtchev, ukrainien, Gromyko, biélorusse, etc. Mais cette assimilation du pouvoir soviétique à la Russie, particulièrement pernicieuse, sert actuellement à exciter les différents pays issus de l’Union Soviétique et les autres pays victimes du communisme contre la Russie, dont le peuple est pourtant, sans doute, celui qui a le plus souffert de ces aberrations marxistes et bolcheviques du 20iéme siècle
Quoiqu’il en soit, nos descendants d’émigrés, qui continuent à penser en termes de « soviétiques » vis-à-vis des russes actuels, trouvent un écho favorable auprès de ceux qui, en Occident, professent des idées russophobes, et cet accueil favorable les conforte probablement dans leur vision. Or assimiler les Russes actuels aux bolcheviques est particulièrement odieux car c’est assimiler, dans une large mesure, les victimes aux bourreaux.
On remarquera en outre que tous ces arguments sont essentiellement politiques et non ecclésiaux. Dans ce dernier domaine, l’attitude la plus courante des opposants aux conclusions du tribunal de Nice consiste à nier l’existence même d’une Eglise russe et de considérer que le Patriarcat de Moscou n’est que le rouage d’un système « soviéto-mafieux » contrôlé par le KGB, et j’exagère à peine. De toute façon, cela reste « l’ennemi ». Mais l’Eglise de Russie est l’Eglise des martyrs, et ces martyrs sont aussi les nôtres. Leur sang n’a pas encore séché. Et l’Eglise se relève, avec peine, de toutes les persécutions qu’elle a subies. Elle s’efforce courageusement d’apporter la lumière du Christ à un peuple russe complètement désorienté, mais qui semble bien écouter de nouveau la mission de l’Eglise. Chercher des noises à cette Eglise, dont nous sommes issus nous aussi, se sentir agressé par elle, est une façon bien singulière de se réjouir que toutes ces souffrances soient enfin terminées.
A la vérité, il est tout à fait possible de vivre son identité de « Russe blanc » et se réjouir que la Russie actuelle cherche à renouer avec son passé pré-révolutionnaire, qui est aussi le nôtre. Elle s’implique en effet à ce point, qu’elle souhaite assumer à nouveau les destinées de la cathédrale, malgré les frais importants que cela implique, y faire assurer des offices plus fréquents et renoncer à faire payer par les touristes l’entretien du lieu de culte des orthodoxes de la région.
Il est bien évident que la situation actuelle, pour compliquée qu’elle soit, est loin d’être insoluble si on l’abordait avec tant soit peu de respect des opinions d’autrui et d’esprit de compromis.
Séraphin Rehbinder
Juin 2010
.................................................
(1) Voir par exemple le discours secret du président Clinton devant les chefs d’état-major, du 25 octobre 1995, qui détaille les dizaines de milliards de dollars consacrés à cette tâche et déclare qu’il reste à fractionner la Russie en plusieurs petits états, par des guerres interrégionales, comme cela fut fait en ex-Yougoslavie.
Rédigé par l'équipe de rédaction le 23 Juin 2010 à 14:28
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