A l'approche du concile local de l'Église orthodoxe russe, nous vous proposons la traduction française d'une des principales déclarations du dernier concile épiscopal qui a eu lieu à Moscou du 25 au 29 juin 2008. La traduction française est du hiéromoine Alexandre Siniakov. Ce document a été précédemment publié dans le numéro 10 (juillet-août) du Messager de l'Eglise orthodoxe russe.
L’unité est une propriété essentielle de l’Église. Selon l’enseignement de l’apôtre Paul, l’Église est le corps du Christ dont chaque chrétien est membre : « Vous êtes le corps du Christ, et membres chacun pour sa part » (1 Co 12, 27). Les membres de l’unique corps du Christ sont unis par la même foi, le même baptême (Eph 4, 5) et l’amour mutuel à l’image de celui qui règne entre les trois Personnes de la divine et vivifiante Trinité.
La confession orthodoxe de la foi en la Sainte Trinité exige de la part de chaque chrétien des efforts ascétiques pour préserver le don précieux de l’unité qui surpasse toute frontière, toute division et toute différence politiques. Le « sacrement de l’unité » et « l’union de la concorde indéfectible » dont parle saint Cyprien de Carthage doivent être gardés avec diligence. En effet, hors de l’unité de l’Église il n’y a pas de vraie foi. « Peut-il croire qu’il garde la foi celui qui ne tient pas à cette unité de l’Église ? s’interroge saint Cyprien. Peut-il espérer faire partie de l’Église celui qui s’oppose à elle et agit contre elle ? » (De Unitate Ecclesiae).
Dans un monde marqué par des divisions, l’unité de l’Église est sans cesse menacée par l’ennemi du genre humain. L’histoire de l’Église orthodoxe russe donne de multiples exemples de tels dangers, surtout au cours du XXe siècle qui a apporté de nombreux fléaux à notre peuple. Des millions de nos compatriotes périrent dans une guerre fratricide. La fureur des persécutions athées a donné un grand nombre de nouveaux martyrs qui ont sacrifié leur vie au nom du Christ. Elle a conduit également au meurtre de l’empereur-martyr Nicolas et de toute la famille impériale.
Cette année, qui marque le 90e anniversaire de cet événement tragique, notre affliction est remplacée par la joie de voir que cette opposition d’antan a pris fin spirituellement. Le signe de la fin de cette époque de divisions a été le rétablissement, l’année dernière, de l’unité de l’Église russe, altérée par la révolution et la guerre civile. Le concile épiscopal rend grâce au Seigneur pour la miséricorde manifestée ainsi à notre peuple par les prières des martyrs et de tous les saints de la terre russe. Le jour de l’Ascension du Seigneur le 4 (17) mai 2007, lorsque, dans la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou, le patriarche Alexis II de Moscou et de toute la Russie et le métropolite Laure de New York et d’Amérique orientale ont signé l’acte de communion canonique et célébré ensemble la divine liturgie après des années de séparation, ce sont les prières de plusieurs générations de fidèles orthodoxes qui ont été enfin exaucées, eux qui avaient attendu avec tant d’espérance ce jour lumineux. L’orthodoxie a triomphé, la vérité de Dieu a vaincu les péchés et les faiblesses humaines, les préjugés et les accusations mutuelles qui s’étaient accumulées pendant des décennies.
Le concile remercie tous ceux qui ont peiné dans cette grande œuvre d’unité et tous ceux qui les ont soutenus par la prière. Les membres du concile pensent avec une gratitude particulière aux efforts du précédent primat de l’Église russe hors frontières, le regretté métropolite Laure dont la sagesse de pasteur, l’esprit de paix et la prière ont accéléré le rétablissement de l’unité. Que sa mémoire soit éternelle !
La communion canonique rétablie porte de nombreux et bons fruits dans la vie de l’unique Église orthodoxe russe. La collaboration quotidienne avec les diocèses et les paroisses à l’étranger progresse, des liturgies, des pèlerinages et des conférences communs sont organisés. Le concile invoque la bénédiction de Dieu sur les œuvres de tous les acteurs de la vie ecclésiale à l’étranger et considère comme important d’approfondir la collaboration en organisant, par exemple, des consultations régionales des évêques et des pasteurs qui exercent leur ministère au sein de la diaspora. Il faut, lors de telles rencontres et prières communes, chercher des solutions, avec discernement pastoral, à certaines conséquences de la division. Le prochain concile épiscopal se tiendra l’année où prend fin la période de transition de cinq ans fixée par l’acte de communion canonique. Il pourra alors, si Dieu le veut, étudier les solutions proposées.
S’adressant à ceux qui, pour diverses raisons, n’ont pas accepté l’unité retrouvée, le concile les invite à la communion dans l’amour du Christ qui « ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ; il ne se réjouit pas de l’injustice, mais met sa joie dans la vérité. Il excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout » (1 Co 13, 5-17).
Le concile adresse la même invitation à tous les enfants de l’Église russe qui vivent hors de ses frontières traditionnelles et s’en sont séparés sous l’influence de divers facteurs politiques et nationaux à cause de l’immixtion des éléments de ce monde dans la vie ecclésiale qui s’édifie paisiblement sur les fondations des apôtres et des prophètes et a « pour pierre d’angle le Christ Jésus lui-même » (Eph 2, 20).
En cette année du 1020e anniversaire du baptême de la Russie, le concile rend grâce à notre Dieu qui a illuminé, par la connaissance de la vérité, le cœur du saint prince Vladimir égal aux apôtres, devenu le guide spirituel du peuple russe dans la voie du Salut. Le baptistère du Dniepr est la source aussi bien de la vie et de l’ascèse spirituelles que de la culture et des États de nos peuples. C’est là qu’est née la Sainte Russie, notre patrie et notre espace culturel commun. Son intégrité a souvent été éprouvée. Pendant des siècles, de nombreuses forces ont cherché à détruire ou à altérer cet espace. Ces tentatives ont échoué, grâce à la miséricorde divine. Aujourd’hui, nous déclarons résolument que l’unité de la Sainte Russie est un immense trésor de notre Église et de nos peuples. Nous préserverons ce trésor et n’épargnerons pas nos forces pour surmonter les épreuves de la division. Ce n’est qu’ainsi que l’Église orthodoxe russe continuera à contribuer à la richesse de la civilisation européenne et universelle et à témoigner d’une façon convaincante de la valeur de la tradition orthodoxe.
En souvenir de l’événement le plus important de notre histoire – le baptême de la Russie – le concile épiscopal prescrit de célébrer la mémoire du saint prince Vladimir, le 15 (28) juillet, avec le rang d’une solennité, pour rendre un digne hommage à celui qui a baptisé la Russie. Le concile s’adresse aux dirigeants politiques de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie avec la proposition de faire de la mémoire du saint prince Vladimir un jour férié marqué par des manifestations particulières, à l’instar de la mémoire des saints Cyrille et Méthode devenue fête de la culture et de la littérature slaves.
Avec un sentiment de gratitude envers le Seigneur, le concile atteste que l’Église orthodoxe ukrainienne auto-administrée, dotée de larges droits d’autonomie, exerce avec succès son ministère de salut, malgré les attaques de la part des organisations schismatiques et des forces politiques qui les soutiennent. Elle est la véritable Église de son peuple et garde en même temps l’unité spirituelle avec l’ensemble de l’Église russe qui ne peut s’imaginer sans lien avec l’antique et sainte Kiev, la chaire d’origine de ses primats. Les membres du concile affirment leur soutien à la position courageuse du métropolite Vladimir de Kiev et de toute l’Ukraine, des évêques, des pasteurs, des moines, des moniales et des laïcs de l’Église orthodoxe ukrainienne, soucieux de respecter les dispositions canoniques de la vie ecclésiale.
Le concile reconnaît qu’il est important de cultiver le don de l’unité de l’Église, en renforçant la collaboration entre les diocèses, en multipliant les pèlerinages communs et les contacts entre les différentes parties de la Russie historique. Il convient, en même temps, de respecter les particularités nationales et culturelles de chacune d’elles, sachant que l’estime des caractéristiques de chaque peuple a toujours été une force de notre Sainte Église, un gage de sa croissance et de son unité. L’expérience des persécutions et de la renaissance ecclésiale nous a appris que, tout en prenant en considération les réalités et les intérêts politiques des pays où l’Église orthodoxe russe exerce son ministère, nous devons avoir des positions indépendantes et propres sur les questions de la vie sociale, fondées sur les normes et les valeurs de la tradition de l’Église et non sur une conjoncture politique passagère.
Pour renforcer l’unité dans la diversité, il est utile de diffuser les documents les plus importants de l’Église orthodoxe russe, ainsi que les messages du patriarche dans les langues des peuples auxquels ils s’adressent. Le concile épiscopal approuve la proposition du patriarche de fonder à Moscou une métochie du plus ancien monastère de la Russie – la laure des Grottes de Kiev, et de créer à Kiev une représentation patriarcale. Cette double initiative renforcera les liens mutuels entre les deux capitales de l’orthodoxie russe qui sont, dans l’histoire de notre Église, une garantie de la fidélité aux préceptes de la Tradition inaltérée et de la fermeté face aux épreuves.
Le concile soutient les efforts entrepris par l’Église orthodoxe ukrainienne pour surmonter par le dialogue les divisions avec ceux qui ne sont pas en communion avec elle. Ce dialogue se fonde sur la fidélité à la tradition canonique de l’Église et sur le désir de faire revenir à la communion ecclésiale ceux qui se sont séparés de l’unité salutaire. L’intervention des forces politiques dans ce processus est inacceptable. Les membres du concile épiscopal approuvent unanimement la déclaration du métropolite Vladimir sur le caractère inopportun de la révision du statut canonique actuel de l’Église orthodoxe ukrainienne. Une telle révision ne peut être un instrument de consolidation de l’Église lorsque la société ukrainienne elle-même est divisée entre les régions orientales et occidentales. Elle pourrait être dangereuse pour l’unité de l’État ukrainien dont la stabilité est chère à tous les enfants de la Sainte Russie.
Le concile exprime aussi sa solidarité avec les fidèles orthodoxes en Moldavie et en Estonie où la paix ecclésiale a été troublée par les actions des forces extérieures et par la création de juridictions parallèles d’autres Églises locales. Nous appelons nos frères et sœurs à s’en tenir fermement à la foi et la vérité canonique et à surmonter patiemment toute division. À tous ceux qui, contribuant au schisme, pensaient ainsi « servir Dieu » (Jn 16, 2), le concile lance un appel à estimer à juste titre les conséquences de leurs actes qui divisent les communautés, font souffrir les chrétiens, rendent moins crédible le message de l’Église orthodoxe et créent des obstacles à l’œuvre du salut.
Nous invitons les patriarcats de Constantinople et de Roumanie à une collaboration fraternelle avec notre Église pour résoudre ensemble les anomalies canoniques en Estonie et en Moldavie qui affaiblissent le témoignage orthodoxe dans ces pays.
Aujourd’hui, l’unité est menacée non seulement dans l’Église orthodoxe russe, mais aussi dans l’orthodoxie universelle. Le danger vient de tentatives imprudentes de revoir l’organisation séculaire des rapports entre les Églises locales fixée dans les saints canons. Soucieux de la communion avec toutes les Églises orthodoxes locales, et surtout avec le patriarcat de Constantinople, Église mère à laquelle l’héritage de la Sainte Russie est inséparablement lié depuis des siècles, le concile exprime sa profonde préoccupation devant les tendances à altérer la tradition canonique qui apparaissent dans les déclarations et les actes de certains représentants de la Sainte Église de Constantinople. Se fondant sur une interprétation du 28e canon du IVe concile œcuménique qui n’est pas acceptée par l’ensemble de l’Église orthodoxe, ces évêques et théologiens élaborent une nouvelle conception de l’ecclésiologie qui met en péril l’unité de l’orthodoxie. Selon cette conception,
a) seules les Églises en communion avec le siège de Constantinople appartiendraient à l’orthodoxie universelle ;
b) le patriarcat de Constantinople aurait le droit exclusif de juridiction au sein de la diaspora orthodoxe;
c) dans les pays ayant une diaspora orthodoxe, le patriarcat de Constantinople représenterait lui seul l’avis et les intérêts de toutes les Églises locales face aux pouvoirs publics ;
d) tout évêque ou membre du clergé qui exerce son ministère hors du territoire canonique de son Église locale se trouverait automatiquement dans la juridiction ecclésiale de Constantinople, même s’il n’en est pas conscient, et pourrait de ce fait être reçu dans cette juridiction sans aucune lettre dimissoriale de son Église (comme ce fut le cas avec Mgr Basile, ancien évêque de Serguéiévo) ;
e) le patriarcat de Constantinople aurait la prérogative de définir les frontières géographiques des Églises et, si son avis diverge avec celui d’une autre Église, pourrait créer sur le territoire de cette Église ses propres structures (comme ce fut le cas en Estonie) ;
f) le patriarcat de Constantinople déciderait unilatéralement quelle Église orthodoxe locale peut participer aux manifestations interorthodoxes et interchrétiennes.
Cette vision qu’a le patriarcat de Constantinople de ses propres droits et prérogatives est en contradiction manifeste avec la tradition séculaire sur laquelle s’est édifiée la vie de l’Église orthodoxe russe et d’autres Églises orthodoxes locales, et va à l’encontre de leurs devoirs pastoraux auprès de leurs fidèles dans la dispersion.
Considérant que les problèmes mentionnés ne pourront être résolus définitivement que par un concile œcuménique de l’Église orthodoxe, ce concile épiscopal appelle la Sainte Église de Constantinople à la prudence en attendant l’examen de ces nouveautés par l’ensemble de l’orthodoxie et à s’abstenir de gestes qui pourraient faire exploser l’unité orthodoxe. Cet avertissement concerne particulièrement les tentatives de revoir les frontières canoniques des Églises orthodoxes.
De son côté, l’Église orthodoxe russe est prête à servir avec assiduité l’unité de l’orthodoxie et à contribuer à l’harmonisation des intérêts des Églises locales au sein de la diaspora dans le cadre des rencontres bilatérales et multilatérales, afin de développer l’expérience positive de coopération pastorale accumulée dans certaines régions, comme l’Amérique du Nord. Le service de l’unité de l’orthodoxie universelle suppose de la part de notre Sainte Église des efforts permanents pour la préservation de son unité interne.
Aujourd’hui, comme à toute époque, un des principaux défis à la sainte orthodoxie est la divergence de points de vue parmi les membres de l’Église concernant diverses questions de vie ecclésiale. Elle peut devenir un danger pour l’Église du Christ et la déchirer en plusieurs parties. Mais elle peut aussi contribuer à un approfondissement et à une meilleure conscience de l’unité de l’Église. Ainsi, l’apôtre Paul affirme qu’« il faut bien qu’il y ait aussi des scissions parmi vous, pour permettre aux hommes éprouvés de se manifester parmi vous » (1 Co 11, 19). Le désir d’une personne ou d’un groupe d’imposer son avis particulier aux autres membres de l’Église conduit aux divisions. Ils accusent d’ailleurs ceux qui ne sont pas d’accord avec eux de trahison à l’orthodoxie et d’apostasie par rapport à la vérité salutaire. Cette voie a été suivie par tous les hérétiques et les schismatiques qui croyaient orgueilleusement que l’Esprit Saint parlait par leur bouche et non par la plénitude conciliaire de l’Église.
Il est impossible de surmonter les discordes en attisant les suspicions et la méfiance entre les membres de l’Église. Il en naît inévitablement de fausses accusations et des outrages qui sèment la zizanie parmi les croyants et éteignent le feu de l’amour sans lequel, selon l’apôtre Paul, plus aucun charisme n’a de valeur (1 Co 13, 1). L’unité ecclésiale est sapée, par ailleurs, par la propagation de faux bruits, d’information non vérifiée et surtout de calomnies. En revanche, la piété et la vertu dont l’amour est le couronnement renforcent l’unité de l’Église. Selon saint Photios, patriarche de Constantinople, « l’amour réunit ce qui est divisé, réconcilie ceux qui sont opposés et rapproche encore plus ceux qui sont apparentés. Il n’y a pas de place pour des révoltes et la jalousie ».
L’unité est renforcée par l’ordre qui règne dans l’Église. Comme nous l’enseignait le saint apôtre Paul, « tout doit se passer dignement et dans l’ordre » (1 Co 14, 40). C’est pourquoi, les principaux guides dans l’Église sont les saints canons et les normes disciplinaires que les membres du clergé s’engagent à respecter avant leur ordination. La violation de ce serment provoque des troubles et des schismes.
Il convient d’utiliser au maximum les possibilités offertes par l’organisation conciliaire de la vie ecclésiale, à savoir les conciles épiscopaux et le Saint-Synode, pour surmonter les discordes et examiner les questions qui inquiètent la conscience des croyants. Le travail de ces organes conciliaires est facilité par l’organisation de colloques, de tables rondes et de discussions dans les médias orthodoxes. Une attention particulière doit être accordée à la formation de la culture intellectuelle et du climat éthique des débats dans l’Église.
Nous croyons que notre Sainte Église, qui a suivi récemment le chemin du martyr et de la confession de la foi, a le potentiel nécessaire pour garder dans l’avenir l’unité voulue par Dieu, pour surmonter les difficultés, les épreuves et les tentations qu’elle rencontre sur son chemin.
L’unité est une propriété essentielle de l’Église. Selon l’enseignement de l’apôtre Paul, l’Église est le corps du Christ dont chaque chrétien est membre : « Vous êtes le corps du Christ, et membres chacun pour sa part » (1 Co 12, 27). Les membres de l’unique corps du Christ sont unis par la même foi, le même baptême (Eph 4, 5) et l’amour mutuel à l’image de celui qui règne entre les trois Personnes de la divine et vivifiante Trinité.
La confession orthodoxe de la foi en la Sainte Trinité exige de la part de chaque chrétien des efforts ascétiques pour préserver le don précieux de l’unité qui surpasse toute frontière, toute division et toute différence politiques. Le « sacrement de l’unité » et « l’union de la concorde indéfectible » dont parle saint Cyprien de Carthage doivent être gardés avec diligence. En effet, hors de l’unité de l’Église il n’y a pas de vraie foi. « Peut-il croire qu’il garde la foi celui qui ne tient pas à cette unité de l’Église ? s’interroge saint Cyprien. Peut-il espérer faire partie de l’Église celui qui s’oppose à elle et agit contre elle ? » (De Unitate Ecclesiae).
Dans un monde marqué par des divisions, l’unité de l’Église est sans cesse menacée par l’ennemi du genre humain. L’histoire de l’Église orthodoxe russe donne de multiples exemples de tels dangers, surtout au cours du XXe siècle qui a apporté de nombreux fléaux à notre peuple. Des millions de nos compatriotes périrent dans une guerre fratricide. La fureur des persécutions athées a donné un grand nombre de nouveaux martyrs qui ont sacrifié leur vie au nom du Christ. Elle a conduit également au meurtre de l’empereur-martyr Nicolas et de toute la famille impériale.
Cette année, qui marque le 90e anniversaire de cet événement tragique, notre affliction est remplacée par la joie de voir que cette opposition d’antan a pris fin spirituellement. Le signe de la fin de cette époque de divisions a été le rétablissement, l’année dernière, de l’unité de l’Église russe, altérée par la révolution et la guerre civile. Le concile épiscopal rend grâce au Seigneur pour la miséricorde manifestée ainsi à notre peuple par les prières des martyrs et de tous les saints de la terre russe. Le jour de l’Ascension du Seigneur le 4 (17) mai 2007, lorsque, dans la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou, le patriarche Alexis II de Moscou et de toute la Russie et le métropolite Laure de New York et d’Amérique orientale ont signé l’acte de communion canonique et célébré ensemble la divine liturgie après des années de séparation, ce sont les prières de plusieurs générations de fidèles orthodoxes qui ont été enfin exaucées, eux qui avaient attendu avec tant d’espérance ce jour lumineux. L’orthodoxie a triomphé, la vérité de Dieu a vaincu les péchés et les faiblesses humaines, les préjugés et les accusations mutuelles qui s’étaient accumulées pendant des décennies.
Le concile remercie tous ceux qui ont peiné dans cette grande œuvre d’unité et tous ceux qui les ont soutenus par la prière. Les membres du concile pensent avec une gratitude particulière aux efforts du précédent primat de l’Église russe hors frontières, le regretté métropolite Laure dont la sagesse de pasteur, l’esprit de paix et la prière ont accéléré le rétablissement de l’unité. Que sa mémoire soit éternelle !
La communion canonique rétablie porte de nombreux et bons fruits dans la vie de l’unique Église orthodoxe russe. La collaboration quotidienne avec les diocèses et les paroisses à l’étranger progresse, des liturgies, des pèlerinages et des conférences communs sont organisés. Le concile invoque la bénédiction de Dieu sur les œuvres de tous les acteurs de la vie ecclésiale à l’étranger et considère comme important d’approfondir la collaboration en organisant, par exemple, des consultations régionales des évêques et des pasteurs qui exercent leur ministère au sein de la diaspora. Il faut, lors de telles rencontres et prières communes, chercher des solutions, avec discernement pastoral, à certaines conséquences de la division. Le prochain concile épiscopal se tiendra l’année où prend fin la période de transition de cinq ans fixée par l’acte de communion canonique. Il pourra alors, si Dieu le veut, étudier les solutions proposées.
S’adressant à ceux qui, pour diverses raisons, n’ont pas accepté l’unité retrouvée, le concile les invite à la communion dans l’amour du Christ qui « ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ; il ne se réjouit pas de l’injustice, mais met sa joie dans la vérité. Il excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout » (1 Co 13, 5-17).
Le concile adresse la même invitation à tous les enfants de l’Église russe qui vivent hors de ses frontières traditionnelles et s’en sont séparés sous l’influence de divers facteurs politiques et nationaux à cause de l’immixtion des éléments de ce monde dans la vie ecclésiale qui s’édifie paisiblement sur les fondations des apôtres et des prophètes et a « pour pierre d’angle le Christ Jésus lui-même » (Eph 2, 20).
En cette année du 1020e anniversaire du baptême de la Russie, le concile rend grâce à notre Dieu qui a illuminé, par la connaissance de la vérité, le cœur du saint prince Vladimir égal aux apôtres, devenu le guide spirituel du peuple russe dans la voie du Salut. Le baptistère du Dniepr est la source aussi bien de la vie et de l’ascèse spirituelles que de la culture et des États de nos peuples. C’est là qu’est née la Sainte Russie, notre patrie et notre espace culturel commun. Son intégrité a souvent été éprouvée. Pendant des siècles, de nombreuses forces ont cherché à détruire ou à altérer cet espace. Ces tentatives ont échoué, grâce à la miséricorde divine. Aujourd’hui, nous déclarons résolument que l’unité de la Sainte Russie est un immense trésor de notre Église et de nos peuples. Nous préserverons ce trésor et n’épargnerons pas nos forces pour surmonter les épreuves de la division. Ce n’est qu’ainsi que l’Église orthodoxe russe continuera à contribuer à la richesse de la civilisation européenne et universelle et à témoigner d’une façon convaincante de la valeur de la tradition orthodoxe.
En souvenir de l’événement le plus important de notre histoire – le baptême de la Russie – le concile épiscopal prescrit de célébrer la mémoire du saint prince Vladimir, le 15 (28) juillet, avec le rang d’une solennité, pour rendre un digne hommage à celui qui a baptisé la Russie. Le concile s’adresse aux dirigeants politiques de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie avec la proposition de faire de la mémoire du saint prince Vladimir un jour férié marqué par des manifestations particulières, à l’instar de la mémoire des saints Cyrille et Méthode devenue fête de la culture et de la littérature slaves.
Avec un sentiment de gratitude envers le Seigneur, le concile atteste que l’Église orthodoxe ukrainienne auto-administrée, dotée de larges droits d’autonomie, exerce avec succès son ministère de salut, malgré les attaques de la part des organisations schismatiques et des forces politiques qui les soutiennent. Elle est la véritable Église de son peuple et garde en même temps l’unité spirituelle avec l’ensemble de l’Église russe qui ne peut s’imaginer sans lien avec l’antique et sainte Kiev, la chaire d’origine de ses primats. Les membres du concile affirment leur soutien à la position courageuse du métropolite Vladimir de Kiev et de toute l’Ukraine, des évêques, des pasteurs, des moines, des moniales et des laïcs de l’Église orthodoxe ukrainienne, soucieux de respecter les dispositions canoniques de la vie ecclésiale.
Le concile reconnaît qu’il est important de cultiver le don de l’unité de l’Église, en renforçant la collaboration entre les diocèses, en multipliant les pèlerinages communs et les contacts entre les différentes parties de la Russie historique. Il convient, en même temps, de respecter les particularités nationales et culturelles de chacune d’elles, sachant que l’estime des caractéristiques de chaque peuple a toujours été une force de notre Sainte Église, un gage de sa croissance et de son unité. L’expérience des persécutions et de la renaissance ecclésiale nous a appris que, tout en prenant en considération les réalités et les intérêts politiques des pays où l’Église orthodoxe russe exerce son ministère, nous devons avoir des positions indépendantes et propres sur les questions de la vie sociale, fondées sur les normes et les valeurs de la tradition de l’Église et non sur une conjoncture politique passagère.
Pour renforcer l’unité dans la diversité, il est utile de diffuser les documents les plus importants de l’Église orthodoxe russe, ainsi que les messages du patriarche dans les langues des peuples auxquels ils s’adressent. Le concile épiscopal approuve la proposition du patriarche de fonder à Moscou une métochie du plus ancien monastère de la Russie – la laure des Grottes de Kiev, et de créer à Kiev une représentation patriarcale. Cette double initiative renforcera les liens mutuels entre les deux capitales de l’orthodoxie russe qui sont, dans l’histoire de notre Église, une garantie de la fidélité aux préceptes de la Tradition inaltérée et de la fermeté face aux épreuves.
Le concile soutient les efforts entrepris par l’Église orthodoxe ukrainienne pour surmonter par le dialogue les divisions avec ceux qui ne sont pas en communion avec elle. Ce dialogue se fonde sur la fidélité à la tradition canonique de l’Église et sur le désir de faire revenir à la communion ecclésiale ceux qui se sont séparés de l’unité salutaire. L’intervention des forces politiques dans ce processus est inacceptable. Les membres du concile épiscopal approuvent unanimement la déclaration du métropolite Vladimir sur le caractère inopportun de la révision du statut canonique actuel de l’Église orthodoxe ukrainienne. Une telle révision ne peut être un instrument de consolidation de l’Église lorsque la société ukrainienne elle-même est divisée entre les régions orientales et occidentales. Elle pourrait être dangereuse pour l’unité de l’État ukrainien dont la stabilité est chère à tous les enfants de la Sainte Russie.
Le concile exprime aussi sa solidarité avec les fidèles orthodoxes en Moldavie et en Estonie où la paix ecclésiale a été troublée par les actions des forces extérieures et par la création de juridictions parallèles d’autres Églises locales. Nous appelons nos frères et sœurs à s’en tenir fermement à la foi et la vérité canonique et à surmonter patiemment toute division. À tous ceux qui, contribuant au schisme, pensaient ainsi « servir Dieu » (Jn 16, 2), le concile lance un appel à estimer à juste titre les conséquences de leurs actes qui divisent les communautés, font souffrir les chrétiens, rendent moins crédible le message de l’Église orthodoxe et créent des obstacles à l’œuvre du salut.
Nous invitons les patriarcats de Constantinople et de Roumanie à une collaboration fraternelle avec notre Église pour résoudre ensemble les anomalies canoniques en Estonie et en Moldavie qui affaiblissent le témoignage orthodoxe dans ces pays.
Aujourd’hui, l’unité est menacée non seulement dans l’Église orthodoxe russe, mais aussi dans l’orthodoxie universelle. Le danger vient de tentatives imprudentes de revoir l’organisation séculaire des rapports entre les Églises locales fixée dans les saints canons. Soucieux de la communion avec toutes les Églises orthodoxes locales, et surtout avec le patriarcat de Constantinople, Église mère à laquelle l’héritage de la Sainte Russie est inséparablement lié depuis des siècles, le concile exprime sa profonde préoccupation devant les tendances à altérer la tradition canonique qui apparaissent dans les déclarations et les actes de certains représentants de la Sainte Église de Constantinople. Se fondant sur une interprétation du 28e canon du IVe concile œcuménique qui n’est pas acceptée par l’ensemble de l’Église orthodoxe, ces évêques et théologiens élaborent une nouvelle conception de l’ecclésiologie qui met en péril l’unité de l’orthodoxie. Selon cette conception,
a) seules les Églises en communion avec le siège de Constantinople appartiendraient à l’orthodoxie universelle ;
b) le patriarcat de Constantinople aurait le droit exclusif de juridiction au sein de la diaspora orthodoxe;
c) dans les pays ayant une diaspora orthodoxe, le patriarcat de Constantinople représenterait lui seul l’avis et les intérêts de toutes les Églises locales face aux pouvoirs publics ;
d) tout évêque ou membre du clergé qui exerce son ministère hors du territoire canonique de son Église locale se trouverait automatiquement dans la juridiction ecclésiale de Constantinople, même s’il n’en est pas conscient, et pourrait de ce fait être reçu dans cette juridiction sans aucune lettre dimissoriale de son Église (comme ce fut le cas avec Mgr Basile, ancien évêque de Serguéiévo) ;
e) le patriarcat de Constantinople aurait la prérogative de définir les frontières géographiques des Églises et, si son avis diverge avec celui d’une autre Église, pourrait créer sur le territoire de cette Église ses propres structures (comme ce fut le cas en Estonie) ;
f) le patriarcat de Constantinople déciderait unilatéralement quelle Église orthodoxe locale peut participer aux manifestations interorthodoxes et interchrétiennes.
Cette vision qu’a le patriarcat de Constantinople de ses propres droits et prérogatives est en contradiction manifeste avec la tradition séculaire sur laquelle s’est édifiée la vie de l’Église orthodoxe russe et d’autres Églises orthodoxes locales, et va à l’encontre de leurs devoirs pastoraux auprès de leurs fidèles dans la dispersion.
Considérant que les problèmes mentionnés ne pourront être résolus définitivement que par un concile œcuménique de l’Église orthodoxe, ce concile épiscopal appelle la Sainte Église de Constantinople à la prudence en attendant l’examen de ces nouveautés par l’ensemble de l’orthodoxie et à s’abstenir de gestes qui pourraient faire exploser l’unité orthodoxe. Cet avertissement concerne particulièrement les tentatives de revoir les frontières canoniques des Églises orthodoxes.
De son côté, l’Église orthodoxe russe est prête à servir avec assiduité l’unité de l’orthodoxie et à contribuer à l’harmonisation des intérêts des Églises locales au sein de la diaspora dans le cadre des rencontres bilatérales et multilatérales, afin de développer l’expérience positive de coopération pastorale accumulée dans certaines régions, comme l’Amérique du Nord. Le service de l’unité de l’orthodoxie universelle suppose de la part de notre Sainte Église des efforts permanents pour la préservation de son unité interne.
Aujourd’hui, comme à toute époque, un des principaux défis à la sainte orthodoxie est la divergence de points de vue parmi les membres de l’Église concernant diverses questions de vie ecclésiale. Elle peut devenir un danger pour l’Église du Christ et la déchirer en plusieurs parties. Mais elle peut aussi contribuer à un approfondissement et à une meilleure conscience de l’unité de l’Église. Ainsi, l’apôtre Paul affirme qu’« il faut bien qu’il y ait aussi des scissions parmi vous, pour permettre aux hommes éprouvés de se manifester parmi vous » (1 Co 11, 19). Le désir d’une personne ou d’un groupe d’imposer son avis particulier aux autres membres de l’Église conduit aux divisions. Ils accusent d’ailleurs ceux qui ne sont pas d’accord avec eux de trahison à l’orthodoxie et d’apostasie par rapport à la vérité salutaire. Cette voie a été suivie par tous les hérétiques et les schismatiques qui croyaient orgueilleusement que l’Esprit Saint parlait par leur bouche et non par la plénitude conciliaire de l’Église.
Il est impossible de surmonter les discordes en attisant les suspicions et la méfiance entre les membres de l’Église. Il en naît inévitablement de fausses accusations et des outrages qui sèment la zizanie parmi les croyants et éteignent le feu de l’amour sans lequel, selon l’apôtre Paul, plus aucun charisme n’a de valeur (1 Co 13, 1). L’unité ecclésiale est sapée, par ailleurs, par la propagation de faux bruits, d’information non vérifiée et surtout de calomnies. En revanche, la piété et la vertu dont l’amour est le couronnement renforcent l’unité de l’Église. Selon saint Photios, patriarche de Constantinople, « l’amour réunit ce qui est divisé, réconcilie ceux qui sont opposés et rapproche encore plus ceux qui sont apparentés. Il n’y a pas de place pour des révoltes et la jalousie ».
L’unité est renforcée par l’ordre qui règne dans l’Église. Comme nous l’enseignait le saint apôtre Paul, « tout doit se passer dignement et dans l’ordre » (1 Co 14, 40). C’est pourquoi, les principaux guides dans l’Église sont les saints canons et les normes disciplinaires que les membres du clergé s’engagent à respecter avant leur ordination. La violation de ce serment provoque des troubles et des schismes.
Il convient d’utiliser au maximum les possibilités offertes par l’organisation conciliaire de la vie ecclésiale, à savoir les conciles épiscopaux et le Saint-Synode, pour surmonter les discordes et examiner les questions qui inquiètent la conscience des croyants. Le travail de ces organes conciliaires est facilité par l’organisation de colloques, de tables rondes et de discussions dans les médias orthodoxes. Une attention particulière doit être accordée à la formation de la culture intellectuelle et du climat éthique des débats dans l’Église.
Nous croyons que notre Sainte Église, qui a suivi récemment le chemin du martyr et de la confession de la foi, a le potentiel nécessaire pour garder dans l’avenir l’unité voulue par Dieu, pour surmonter les difficultés, les épreuves et les tentations qu’elle rencontre sur son chemin.