« Les Russes, des mal aimés ? »
Traduction Dmitriy Garmonov

Pourquoi en Russie les gens sont-ils souvent brutaux, montrent les dents,sont agressifs les uns envers les autres ? L’archiprêtre Alexie Ouminsky cherche des réponses.

Le fait que « nous soyons tellement méchants » est lié sans doute à ce qui s’est passé dans notre pays pendant le dernier centenaire. La psychologie de l’enfant connaît la notion de frustration ou de manque d’amour. Et dans ce sens, tout notre peuple et notre pays se trouvent dans cette situation de frustration depuis un siècle. Pendant presque cent ans, elle fait part de notre vie, elle est transmise de génération en génération, des parents aux enfants et des enfants aux parents.

Ce syndrome s’extériorise par la suite en tant que méchanceté, agression et méfiance, désir de se cacher et de se replier sur soi-même, de s’isoler des autres et, souvent, s’adonner au vol. C’est-à-dire, compenser cet amour manquant et aller jusqu’à remplir un vide douloureux par des divers moyens dont certains sont répréhensibles. En effet, quand les enfants volent, on comprend qu’ils compensent ainsi l’amour qu’ils n’ont pas reçu. Des phénomènes similaires se passent avec nous tous, avec notre pays.

Nous ne sommes pas trop aimés par notre propre peuple.

D’abord, la Patrie du peuple russe lui a été enlevée et détruite par les bolcheviques. Détruite dans tous les sens : également en tant que pays des ancêtres. Ils ont détruit la Patrie en la personne du tzar qui était le père de son peuple, en la personne du clergé. Ensuite ils ont fait disparaître les structures familiales ainsi que l’amour paternel. Le pays lui-même a commencé à s’autodétruire. Puis ces modèles se répètent, se multiplient et se deviennent principe de vie.

Ce dont tout le monde a vraiment besoin c’est d’être aimé profondément, consciemment et inconsciemment. Mais nulle part il n’est possible de retrouver cet amour ni de remonter à ses sources. Elles sont taries. Notre société s’est trouvée non préparée à une chose toute simple : il faut vivre selon les lois du respect de soi. L’attitude respectueuse envers la personnalité humaine est abolie. La personnalité humaine n’a plus aucune valeur.
Nous critiquons l’Occident pour les relations pragmatiques entre les hommes, le manque d’intérêt pour les autres, pour la recherche constante du profit. Mais le respect de la personnalité humaine y est présent.
A la différence de nous avec notre âme russe « mystérieuse et imbue de spiritualité ».
Notre attitude de respect est totalement oblitérée après des années de répression, de destruction de notre culture, par l’extirpation de l’homme de la notion même de « personnalité ». Voilà pourquoi notre vie est aussi difficile. Quand l’homme n’est pas capable de se respecter soi-même, il n’est plus capable de respecter les autres.

D’où vient notre immense incertitude.

Une faille colossale s’est produite dans la société puisque l’homme est dépersonnalisé et que son alliance avec Dieu n’est plus évidente. L’homme ne devient justement ce qu’il est que quand il est lié à Dieu, quand il est né en Dieu. Actuellement nous vivons dans un pays dé-divinisé (déchristianisé) (bien que 70% de Russes se déclarent orthodoxes) parce que notre conscience est dé-divinisé. Nous ne voyons pas, nous ne sentons pas la présence divine auprès de nous et n’y réfléchissons même pas. Donc il n’est pas étonnant qu’il y ait tant de méchanceté autour de nous : nous en avons à revendre en nous-mêmes.Nous essayons de justifier notre méchanceté même en église, nous cherchons à justifier notre manque d’amour. Le Christ n’a jamais dit que nous avons le droit de ne pas aimer quelqu’un quelque part. Il nous appelle à aimer même nos ennemis.
Aujourd’hui on cite souvent les mots de saint Philarète (Drozdov) qui ont été dits dans un temps et lieu concrets et dans des circonstances précises. A l’époque, nous combattions pour la libération des peuples des Balkans. Les soldats russes donnaient leurs vies à la guerre pour la libération de leurs frères, pour leurs prochains. Et c’est dans ce contexte que saint Philarète (Drozdov) a dit : « Aime tes ennemis, bats les ennemis de la Patrie et dédaigne les ennemis du Christ ». Maintenant cette phrase est souvent répétée à tout venant.

Dans l’Evangile, les gens qui ont crucifié le Christ et pour lesquels le Christ priait Son Père Céleste en disant : « Père, pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font », ceux-ci étaient les ennemis de la Patrie et les ennemis du Christ. Lui-même ne méprisait personne. Saint Polycarpe de Smyrne, élève du saint apôtre Jean le Théologien, appelait tous les chrétiens à prier pour les ennemis de la croix. Aujourd’hui chacun de nos adversaires idéologiques, tout ce qui n’est pas d’accord avec nous tombe dans la catégorie d’ennemi de la Patrie qu’il faut battre (parfois même du poing dans le visage). Nous commençons à mépriser « les ennemis du Christ » en oubliant les mots qu’a dit le saint archimandrite Dorothée dans un sermon. Il a dit que le jugement le plus terrible pour le pécheur était de le mépriser parce que l’homme qu’on dédaigne n’est pas digne de la vie sur la terre.

Aujourd’hui, même dans l’Eglise, nous cherchons toujours un prétexte non pas pour aimer, mais pour haïr.

Nous sommes saisis par la maladie horrible de la méchanceté. Il est difficile d’imaginer la manière dont nous pouvons guérir, dont le Seigneur peut nous implanter dans Son amour comme un sep sauvage. Ce ne sera possible que quand nous-mêmes, nous voudrons vraiment aimer, nous débarrasser de l’état d’inimitié, quand nous cesserons de nous justifier. Quand malgré notre douleur et notre sentiment de bon droit nous voudrons regarder autrement le monde.

Neskoutcniy Sad


Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 7 Août 2012 à 19:07 | 38 commentaires | Permalien



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