"Révèle-moi Ta face": LA MER, LE CIERGE, LE REGARD (partie II)
Prêtre Vladimir Zielinsky
Suite de la partie I

Faut-il parler, donc, de l'impasse de nos capacités intellectuelles? Le mot qui nous sert le mieux pour nous approcher de Dieu s'appelle mystère. Peut-être, on le mentionne un peu trop souvent. Mais ce n'est qu'un simple mot-témoignage. Il ne contient aucun secret, mais il signifie le réveil de la raison. Mais tout d'abord il confesse notre humilité, notre crainte, notre confiance, il souligne la distance insurmontable qui nous sépare. Ce mot dit que tout ce que nous pouvons produire par nos efforts mentaux n'est pas capable de saisir ce qu’est Dieu.Or, nous savons qu'il est Celui qui est. Le noyau du mystère est dans le verbe « être ». Le mystère annonce l'impossibilité de « con-naître » Dieu dans la lumière faible et réverbérée du savoir, « claire et distincte », cartésien, mais en même temps il nous promet une autre naissance. "Con-naître" veut dire naître avec, naître dans la lumière qui vient du Royaume de Dieu.

Elle témoigne de la naissance "d'en haut", comme dit Jésus à Nicodème. Mystère, dans le sens plein et actif, veut dire la naissance en Dieu ou même le partage de notre être le plus intime avec Dieu.

Mais s'agit-il d'une métaphore poétique, d'un simple mode de parler trop risqué ou très peu responsable?
Toutes ces images ou figures de la connaissance appartiennent à la tradition judéo-chrétienne; elles ont les racines dans l'Ecriture qui parle tout d'abord de la connaissance « effectuée » par Dieu à l'égard des hommes, Ce sont eux qui sont « atteints », « engagés » ou « comblés » par Sa connaissance; ils sont ses « objets » (le langage philosophique, plus précis que celui de la poésie, est beaucoup plus pauvre) - soumis ou révoltés de sa pensée ou plutôt de sa parole, de son regard. La vraie connaissance ne peut être que dans la réciprocité la plus étroite. Quand nous entrons dans le mystère, nous prenons le risque d’être reconnu.

« Je te connais par ton nom » - dit le Seigneur à Moise (Ex.33, 17). Jésus, selon l'Evangile de saint Jean; « n'avait pas besoin d'être renseigné sur personne: Il savait ce qu'il y avait dans l'homme » (Jn. 2, 25). Dieu nous connaît jusqu'à la moelle des os, jusqu'aux pensées et aux désirs qui ne sont pas encore nés; et sa connaissance n'est qu'une autre forme de sa Révélation. Il nous montre son vrai visage, le visage de celui qui nous aime, nous guette, nous regarde. La foi s'allume au moment où l’on rencontre ce regard d'amour et qu’on le reconnaît.

« …Tu me sondes et me connais;
Que je me lève ou m'assoie, tu le sais;
tu perces de loin mes pensées…
La parole n'est pas encore dans ma langue,
et voici, Yahvé, tu la sais tout entière;
derrière et devant tu m'enserres,
tu a mis sur moi ta main.
Prodige de savoir qui me dépasse,
Hauteur que je ne puis atteindre ».

(Ps. 139, 1-6).

Mais par quel chemin de pensée ai-je pu arriver à cette clairvoyance? Comment a-t-on a pu sentir le travail de Dieu dans ma formation? On le reconnaît par le même réveil d'amour qui aide le nourrisson à reconnaître sa mère. L'homme se trouve face à face avec l'amour qui l'a appelé à l'existence. Mon existence porte cet appel en soi, le cache, le refoule ou le met en lumière. La connaissance de Dieu n'est qu'une réponse ou un écho. Ma foi n'est rien d'autre qu'une réponse de tout mon être, le cœur, la raison, la chair. Car la vie appelle à la vie et l'amour invoque l'amour, et la vraie connaissance de Dieu n'est qu'une immersion dans sa mer.

À plusieurs reprises la Bible assimile les relations entre le Seigneur et son peuple au lien conjugal.

La Loi est comme un traité de mariage entre Yahvé et sa femme, Israël. Cette femme est souvent infidèle. Elle est séduite par les dieux charnels, faits de bois et de pierre, mais le Seigneur d'Israël veut la posséder tout entière. Leur union signifie l'intimité de la connaissance quand l'homme s'ouvre et accueille un Autre qui laisse sa semence et la semence, porte le fruit dans l'âme. L'image prise au domaine de la chair est le signe du spirituel, car la Bible pense l'homme toujours dans son unité. « Et toute chair saura que Moi Yahvé; Je suis ton Sauveur » (Is. 49, 26). On acquiert la connaissance dans la chair et par l'action de l'homme tout entier. Cette action est son "ouverture", son engagement, sa promesse, sa relation. Ou la Révélation acceptée, accueillie, assimilée, devenue une partie de nous-mêmes.

L'image la plus authentique de la connaissance de Dieu est la communion eucharistique.
Elle se fait dans la chair, sous les signes de la nourriture, mais son sens est cosmique. « Si tu savais le don de Dieu…, dit Jésus à la Samaritaine…, c'est toi qui l'en aurais prié et Il t'aurait donnée de l'eau vive » (Jn 4, 10). Si tu pouvais tenir ton intelligence dans le mystère de l'Eucharistie, tu aurais reçu ta propre vie comme le pain et le vin, au sens sacramentel, comme une substance transformée par la grâce, par l'Esprit Saint, comme une offerte de Dieu dans laquelle Dieu s'offre à nous, se donne comme Agneau de Pâques. Si tu savais le don de Dieu, ta vocation unique aurait été de le recevoir, l'accueillir ou comme dit saint Paul « faire Eucharistie en toute chose » (1 Thes. 5, 18)…
Ou, en d’autres paroles: « être dans l'action de grâce », dans « la condition humaine» eucharistique. Être dans la communion, dans et à travers les choses que nous vivons. « Interroge la beauté de la terre; interroge la beauté de la mer; interroge la beauté de l'air diffus… Cette beauté est inconstante. Qui l'a créée, si non la beauté constante? », demande saint Augustin.
« Observez les lis des champs, comme ils poussent... Salomon dans toute sa gloire n'a pas été vêtu comme l'un d'eux » (Mt. 6, 28-29). « Observez » - nous invite Jésus, car tout cela a été créé par lui. Tendez l’oreille à tout ce qui naît, qui pousse, qui coule, qui monte, qui s’enracine, car tout cela vient de lui. Ecoutez la beauté moment de sa floraison, mais aussi au commencement des choses créées, car au fond de chaque petite créature se trouve une semence de la Parole ou une nuée transparente de l'Esprit.
Dieu nous guette à chaque coin pour croiser nos regards. Il laisse partout les signes qui nous engagent vers le sentier qui nous porte à sa connaissance. Chacun connaît son sentier à lui: dans le sourire de l’enfant et dans la douleur injustifiable, dans l’amour partagé et dans la chasteté absolue, dans l’espérance qui déborde notre existence et dans le mystère magnétique de la mort. Ceux qui ont des oreilles, entendent: Je suis Celui qui est et je suis ici. Je t’attends. Je te bénis.
La connaissance de Dieu est la reconnaissance dans sa double signification essentielle: celle de la mémoire réveillée de la vie initiale, de l'amour, de regard jeté en nous et celle de la gratitude. Certes, notre gratitude pour les signes que Dieu a laissés ou pour ses dons est comme un cierge qui éclaire la mer.
Sa flamme ne peut pas vaincre la nuit de l’inconnaissance, mais il faut qu’elle soit allumée.






Rédigé par Prêtre Vladimir Zielinsky le 23 Janvier 2011 à 14:34 | 1 commentaire | Permalien



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