Père Patrick O'Grady: "Nous devons pouvoir être discernables !"
Traduit du russe par Marie et André Donzeau

Père Patrick, parlez-nous s'il vous plaît de vous et dites-nous quelle Eglise orthodoxe vous représentez.

Je suis prêtre de l'Église d'Antioche, l'une des plus anciennes, l'une des premières Eglises du monde chrétien. Je dessers une paroisse et celle-ci se trouve à Los Angeles, en Californie. Notre église est fréquentée par des gens de tous les âges et de tous les coins du globe. Je suis devenu orthodoxe étant déjà adulte, mais cela ne s'est pas fait du tout dans une église orthodoxe. Alors que j'avais entre 17 et 19 ans, je cherchais des réponses aux questions que je me posais et j'avais des doutes quant à la valeur de l'enseignement chrétien. D'une façon générale, mon attitude à l'égard du christianisme était plutôt négative. Je n'aimais pas l'Église, entre autres choses, parce que mes parents disaient que je devais y aller. Mes parents étaient catholiques et fréquentaient une église dans le New-Jersey, près de New-York.

Plus tard, j'ai quitté la maison, je suis entré dans un collège aux États-Unis, puis à l'université. J'ai beaucoup étudié et j'ai commencé à approfondir mes connaissance sur le christianisme. Je me suis mis à apprendre de façon de plus en plus assidue et j'ai soudain pris conscience, un jour, que la sainte Église, la mère de toutes les églises, est ici, tout près de nous, à New York. C'est ainsi que je suis devenu orthodoxe, j'ai poursuivi mes études, puis je suis devenu prêtre...

Père Patrick O'Grady: "Nous devons pouvoir être discernables !"
Pourquoi n'êtes-vous pas vous allé au Patriarcat œcuménique, dont il y a tant de paroisses en Amérique , pourquoi avez-vous choisi l'église d'Antioche ?

Il y a à cela une explication. Il se fait que l'église d'Antioche est plus ouverte et bienveillante à l'égard d'autres cultures. Par exemple, les Grecs, d'une façon générale, vont à l'Eglise grecque. Mais je ne suis pas grec, je sais peu de choses sur la tradition grecque, et on peut m'y comprendre mal. Mais l'église d'Antioche est ouverte à tout paroissien, quels que soit le genre de personne et le groupe ethnique ou la tradition auxquels il appartient. Cela est dû au fait que depuis les temps anciens l'église d'Antioche porte des traces de l'influence de nombreuses cultures : grecque, romaine, sémitique, toutes ensemble. Cela revêt une importance primordiale. Par ailleurs, l’Eglise russe et celle d'Antioche sont liées depuis de nombreuses années par des relations chaleureuses et amicales.

Pour autant que je sache, votre spécialité est l'étude de la liturgie, la science du culte. Avez-vous fait des publications sur ce sujet ?

Oui, j'ai écrit un livre en coopération avec un autre prêtre. Il est sur le point d'être publié par l'université libanaise de Balamand (qui appartient à l'Église d'Antioche). J'ai également écrit un petit livre sur la divine liturgie, une sorte de guide sur la façon dont les gens doivent participer à la liturgie et en général aux offices.

Ma prochaine question est à ce sujet. Vos livres sont-ils destinés à un large public ou est-ce que ce sont des éditions spécialisées ?

Le premier livre, celui dont je parlais, est destiné à un public plus avancé, c'est un livre scientifique. Mais le deuxième livre est destiné à un large public ; il contient des réponses aux questions les plus simples, basiques, comme « Pourquoi maintenant peut-on s'asseoir ? », « Pourquoi maintenant faut-il se tenir debout à l'office ? », « Que fait maintenant le prêtre ? », « Que dois-je faire ? ».

C'est remarquable. Parce que sur le site Rublev.com nous racontons aux lecteurs ce que le paroissien peut et doit faire dans l'église.

Très bien ! Malheureusement, on ne trouve quasiment aucune information de ce genre en anglais. Nous avons beaucoup de livres de théologie, mais ils n'aident pas ceux qui ont tout juste commencé à fréquenter l'église et n'ont pas encore beaucoup lu, mais cherchent des réponses aux questions « Que dois-je faire ? », « Que se passe-t-il en ce moment dans l'office ? », etc.

Père Patrick, à votre avis, les médias orthodoxes doivent-ils continuer de se développer ou bien les ressources disponibles sont-elles déjà suffisantes ? Je veux dire qu'aujourd'hui il y a une quantité de sites orthodoxes de caractère différent. De votre point de vue, comme prêtre, orthodoxe et simplement utilisateur d'Internet, nous faut plus de sites orthodoxes ?

Oui, je pense qu'un potentiel de développement existe. Mais il ne s'agit pas seulement de l'augmentation du nombre des sites, mais aussi de l'établissement de liens entre eux. C'est important. Sur certains sites il y a très peu d'information, par endroits elle est de mauvaise qualité, et certains ont un aspect très peu sérieux et ressemblent plus à des recueils de rumeurs et de commérages, si bien que ces ressources sont plus nuisibles qu'utiles.

Alors que nous avons besoin de plates-formes puissantes, sérieuses, profondes et responsables de ce qu'elles impriment, qui apportent au monde les valeurs chrétiennes fondamentales : il faudrait qu'il y ait là également un espace pour l'échange de nouvelles, où les chrétiens orthodoxes pourraient en apprendre davantage sur la vie des uns et des autres. Parce que maintenant nous avons une situation intéressante : l'Eglise orthodoxe est une mais, en fait, elle est constituée d'une quantité d'églises locales. Par exemple, l'Eglise orthodoxe russe a ses traditions, nous en avons quelques autres, et nous avons besoin de mieux nous connaître, savoir en quoi consistent nos différences. Car nous nous trouvons dans un même espace eucharistique, dans une même fraternité.


Père Patrick O'Grady: "Nous devons pouvoir être discernables !"
Youri Grymov, un des fondateurs de Rublev.com, a proposé de s'unir en un seul centre de médias orthodoxes. Il voudrait créer un site international, sur lequel se trouverait une base de données commune de toutes les églises et monastères orthodoxes. Une telle base serait parfaite pour informer les lecteurs.

Je suis d'accord avec vous. Nous n'avons pas encore de site-web, il est en développement, mais nous espérons aussi que ce moyen aidera à établir des contacts entre les églises afin que nous puissions communiquer. C'est une très bonne idée. Il ne s'agit pas d'un "tchat", où l'on parle de ce qui vous plaît ou vous déplaît dans votre église, non. Cela n'est pas nécessaire et n'aidera pas les paroissiens à apprendre les rudiments de l'orthodoxie.

Ce serait encore mieux si nous avions un fonds orthodoxe approfondi et sérieux, avec des informations dignes de foi sur les églises et les patriarches, avec une école de théologie compréhensible, une école de la foi, avec des repères moraux qui aideraient les lecteurs à se mettre sur la bonne voie. Peut-être devons-nous réfléchir à la façon de nous entraider, de partager des informations.

Je suis très heureux que vous ayez de telles idées !

Oui ! Par exemple, notre évêque Joseph, Métropolite de New York, responsable de l'archidiocèse américain du Patriarcat d'Antioche, a fondé l'Institut orthodoxe d'Antioche en Californie. On y développe actuellement un site qui correspond à la thématique de Rublev.com. Parce que l'un des objectifs de cet Institut est d'établir des contacts avec les autres églises, d'instaurer des relations avec elles afin que nous puissions communiquer efficacement.
Regardez ce qui se passe ! L'Eglise orthodoxe russe était la première église orthodoxe qui soit venue aux États-Unis. Comme on le sait, les missionnaires russes sont venus en Alaska et en Californie du Nord dès le XVII siècle. Et c'est seulement plus tard que les églises européennes, grecque et les autres, sont arrivées sur la côte Est. Ainsi nous avons déjà un contact, mais en fait nous connaissons-nous bien ?

Je suis entièrement d'accord avec vous. Je voudrais aborder le thème délicat et difficile de la situation en Syrie. Pour autant que je sache, beaucoup de chrétiens qui appartiennent à votre église fuient de Syrie aux Etats-Unis...

Oui, beaucoup ont fui …

Et vous les recevez ?

Oui, nous les recevons... Dans ma paroisse il y a beaucoup de réfugiés, des jeunes gens d'une vingtaine d'années. Et l'une d'entre eux, une jeune fille, une personne très agréable, a eu récemment un neveu de 14 ans tué en Syrie. Juste comme ça, pour rien, juste "boum" et c'est tout... Ce qui se passe au Proche-Orient est une honte. Nous entendons dire que l'on coupe la tête aux enfants, que les chrétiens sont à nouveau crucifiés. C'est une énorme vague de persécution de tout ce qui est précieux et bon. Et pas seulement les orthodoxes, mais beaucoup d'autres personnes ont souffert là-bas, musulmans syriens, Arméniens et beaucoup d'autres.

Vous ne pouvez aider les réfugiés que lorsqu'ils viennent à vous ? Vous ne pouvez en aucune façon agir sur la situation?

Nous le pouvons ! Nous avons un centre anti-terroriste dans notre Patriarcat d'Antioche ; notre patriarche Ioann /le Patriarche d'Antioche Ioann X. Note de Rublev.com/ fait tout ce qui est en son pouvoir, mais la situation est invraisemblablement complexe parce que le gouvernement syrien, à l'heure actuelle, ne contrôle pas l'ensemble du pays. Deux métropolites syriens sont actuellement en captivité.

Que le Seigneur ait pitié d'eux ! Je vous souhaite l'aide de Dieu dans la situation qui s'est créée. Malheureusement, tous les chrétiens orthodoxes russes ne sont pas conscients de l'horreur de la situation. Il y a des informations dans les journaux télévisés, mais il n'y en a pas beaucoup, et tout le monde n'y fait pas toujours attention.

En Amérique, ce sujet est moins abordé qu'il n'inquiète l'archidiocèse américain (de l'Eglise d'Antioche - Rublev.com). Nous avons incontestablement un devoir pastoral envers nos frères et sœurs du Proche-Orient, mais en Amérique aussi, nous avons une importante tâche missionnaire. Il y a chez nous beaucoup de gens qui se disent chrétiens mais ne sont pas informés : par exemple, les protestants, ou des gens qui ont une certaine idée du christianisme mais une idée fausse. C'est pourquoi nous devons prêcher à toute la génération perdue de la jeunesse. Nous avons beaucoup à faire. Nous appliquons toutes nos forces à les atteindre.

Je voudrais connaître votre opinion sur une autre question. Nous avons à l'heure actuelle une situation tendue dans le monde slave, comme vous le savez, un conflit entre l'Ukraine et la Russie. Dans ces pays il y a une Eglise unique. Et, vous le savez, dans beaucoup d'esprits en Russie existe l'idée de l'empire, l'idée que le pouvoir et l'Église doivent être ensemble. C'est pourquoi beaucoup de nos personnages officiels ne disent pas de ce conflit que c'est par essence une guerre. A votre avis, l'Eglise doit-elle se prononcer publiquement sur la nature anti-chrétienne de cette guerre ou bien accepter de considérer que c'est un incident ?

Ceci est une question complexe car elle concerne les relations entre l'Eglise et l'Etat, la position de l'Eglise à l'égard de l'Etat. L'Eglise doit-elle parler comme un pasteur ? Je pense que oui. Cependant, l'Eglise doit être très prudente et ne parler que lorsque cela est absolument indispensable. Parce que les relations entre l'Eglise et l'Etat sont très délicates. En d'autres termes, si l'Eglise s'exprime par la voix de son évêque ou celle du Synode ou du patriarche, il ne faut pas dire une chose aujourd'hui et une autre demain. Nous ne pouvons pas être superficiels, nous ne devons pas avoir une pensée éphémère.

Afin d'éviter toute réaction superficielle, nous devons nous comporter comme l'Eglise se comportait dans les temps anciens, à l'époque de l'Empire romain. A cette époque, l'Eglise s'exprimait très rarement et de façon extrêmement pondérée. A l'heure actuelle, la situation n'est pas moins complexe. Au fil des siècles, vous avez toujours eu une relation difficile entre l'Ukraine et la Russie, entre Moscou et la Russie, entre la Rus kiévienne et la Rus Moscovite. Vous le savez, c'est une longue histoire... N'est-ce pas ?

Au XXe siècle, vous avez eu Khrouchtchev, un Ukrainien, et comme il était ukrainien, il a dit, « Bon, maintenant la Crimée appartient à l'Ukraine ».

Mais il n'en a pas toujours été ainsi, n'est-ce pas ? Et c'est pourquoi maintenant la Russie veut revenir à la situation qui prévalait avant cette relation particulière de Khrouchtchev. Et il y a de nouveau une pression de l'Occident. Par conséquent, la situation est très tendue et loin d'être simple. Du point de vue du ministère pastoral, elle est très difficile pour l'Église. Je peux affirmer une chose : l'Eglise doit toujours se prononcer contre la violence, à quelque moment que ce soit. Et elle doit s'efforcer d'assumer le rôle de pacificateur dans de tels conflits.

Lorsque en Serbie est apparu le cauchemar de la guerre civile, le défunt Patriarche Paul a déclaré : « Assez ! S'il vous plaît, arrêtez ! » Il n'a pris parti pour personne, il a simplement prêché la Parole de Dieu. Plus aucune guerre. Après tout, nous sommes des êtres humains. Nous devons être remarquables. Battez-vous !

Lien ROUBLEV Отец Патрик О’Гради: «Мы должны быть особенными!»


Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 19 Août 2017 à 13:11 | -1 commentaire | Permalien



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