V.Golovanow

" L'« ancien monde » était inhospitalier et hostile à la vision chrétienne du monde, qui postule un début de l'univers - la Création - et une fin de celui-ci : la « Fin des Temps » marquée par le Jugement. L'« ancien monde » était hostile à toute idée d'intervention d'une autre dimension dans notre univers, car cet « ancien monde » était ermétiquement verrouillé par des relations de cause à effet, censées ne pouvoir se dérouler que dans un seul système de références. Le « nouveau monde » est ouvert aux influences émanant d'autres dimensions, et témoigne d’une inventivité et d’une liberté de formes qui font notre émerveillement. Le déterminisme est mort; la matière a perdu sa centralité : il est davantage question d’énergie et d’information. "

Le père Georges Leroy, que nous connaissons par ses "Chroniques d'Abitibi" à mis sur le site de la Chapelle Sainte Marie-Madeleine le fruit de ses «cogitations théologiques» (sic), sous forme d’Études - table des matières ICI Ces réflexions me paraissent particulièrement intéressantes car elles font le liens entre les recherches scientifiques actuelles les plus "pointues", théorie quantique et Relativité, principe d'incertitude d'Heisenberg, théorie des cordes… et la vision chrétienne du monde, le tout dans un langage particulièrement simple qui, à mon sens, permet au lecteur le moins averti de le suivre.

La théologie que propose le père Georges paraitra certainement à certains comme pas très "académique". Il se définit pourtant comme un orthodoxe tout-à-fait « classique »… Je propose au lecteur d'en juger avec ce début de sa première "étude" en laissant découvrir le reste sur son site…

Un changement d'Univers

Lorsque je feuillette la bonne vieille encyclopédie aux gros volumes parsemés de gravures, dont le copyright porte le millésime 1937, je retrouve toute la vision du monde qui fut celle qui me fut enseignée lors de mon enfance. On y décrit un univers, certes vaste mais très sécurisant, car dominé par des grandes lois universelles et inflexibles. Les planètes circulent sagement le long de leur orbite en suivant la loi de Newton, exprimée ainsi : « la matière attire la matière en raison directe des masses et en raison inverse du carré de la distance ». Jusqu'à l'infini des espaces stellaires, cette loi s'applique uniformément et permet de prédire sans aucune erreur les orbites de toutes les planètes. Kepler vient à la rescousse, pour nous dire que « les planètes se meuvent sur des orbites elliptiques dont le Soleil occupe l'un des foyers ». Les systèmes solaires, de tailles diverses, se rassemblent en « nébuleuses », dont certaines « développent une allure spirale tout à fait remarquable ». Tout cela est fait d'espace et de matière, celle-ci ayant une « structure granulaire», car constituée de molécules « séparées les unes des autres par des espaces vides à la manière des étoiles dans le firmament ». Cette matière est donc pratiquement à l'image de la structure interstellaire. Cette matière est passive, caractérisé par sa masse, son poids, son volume, son inertie. Ces caractéristiques et sa position sont modifiées par l'énergie qui y est allouée. « Un corps, un système de corps, contient de l'énergie lorsqu'il est susceptible de faire du travail ». Cette énergie peut être mécanique, calorifique, électrique, chimique et « de radiation», comme dans le cas de la luminescence des gaz. Ce domaine est, lui aussi, régi par des grandes lois fondamentales, tel le premier principe de la thermodynamique, énoncé ainsi : « l'énergie totale d'un système isolé reste constante ». Tout cela est sujet à l'entropie, qui est exprimé par le second principe de la thermodynamique, appelé principe de Carnot, qui s'exprime ainsi : « dans toute machine thermique, le corps mis en œuvre doit subir une chute de température ; il ne peut y avoir production de travail que par la perte de chaleur du corps passant d'une source chaude à une source froide ». Le « chaud» et le « froid » deviennent « tièdes » ; le plus va vers le moins. Cela condamne à l'inexistence tout « mouvement perpétuel ».

Le premier grand coup de boutoir qui fut asséné à cet univers sagement obéissant aux grandes lois physiques, fut la découverte des « transmutations radioactives », dont notre encyclopédie parle déjà timidement. Pierre et Marie Curie ont découvert le rayonnement du radium. Désormais, la matière n'est plus « passive » : elle peut d'elle-même générer de l'énergie ! La théorie de la relativité viendra sonner le glas de l'antique théorie de la « matière passive » : la relativité nous fait découvrir tout d'abord que la matière est un fantastique concentré d'énergie. Mais cette nouvelle théorie de la relativité ne fait pas que cela : elle nous montre que les coordonnées d'espace-temps, valables dans le monde où nous vivons, ne s'appliquent pas de la même façon dans des ensembles qui circulent à très grande vitesse par rapport à nous.

Comment comprendre cela sans passer par des équations? Supposons un instant que nous avons devant nous un laser, à l'intérieur duquel deux miroirs parfaitement parallèles se renvoient des milliards de fois un rayon lumineux. Supposons d'autre part qu'il y ait un autre laser parfaitement identique, à bord d'un vaisseau spatial qui s'éloigne de nous à grande vitesse. À l'intérieur de ce « laser spatial » la lumière rebondit entre les miroirs, elle aussi, des milliards de fois. Les personnes qui sont à bord de ce vaisseau spatial ne perçoivent pas le mouvement qui les anime. Pourtant ce mouvement existe, par rapport à nous. De notre côté, le chronomètre en main, nous mesurons très précisément la distance parcourue par le rayon de lumière, pendant une seconde, à l'intérieur de notre laser. Les passagers du vaisseau spatial font la même chose, de leur côté. Ils obtiennent précisément le même résultat que nous. Sauf qu'au cours de la seconde très précisément mesurée, « leur lumière » n'a pas fait que rebondir entre les deux miroirs du laser. Puisque celui-ci était animé d'une grande vitesse relative, cette lumière s'est déplacée en suivant un chemin en forme de « w » qui est nettement plus long que le trajet parcouru par la lumière confinée dans notre laser. Si ce chemin est plus long, « leur lumière » ne s'est pas déplacée pour autant plus rapidement, puisque la vitesse de la lumière est constante, quel que soit l'endroit de l'univers où elle se déplace. Si ce n'est pas la vitesse de la lumière qui s'est accélérée, c'est nécessairement le temps qui a ralenti, dans le vaisseau spatial lancé à haute vitesse.

C'est un exemple intuitif du fait que les coordonnées d'espace-temps varient dans les ensembles se déplaçant à grande vitesse les uns par rapport aux autres. Cela a des effets de notre réalité, même si cela n'apparaît pas au premier abord : les GPS ont pris une importance considérable, dans notre vie quotidienne. Ils reçoivent leurs informations de satellites. Les données que fournissent les horloges portées par ces satellites doivent subir des « corrections relativistes », car le temps fourni par ces horloges qui circulent à grande vitesse sur une orbite présente déjà une différence mesurable par rapport au temps terrestre - et cela affecterait très sensiblement l'exactitude des GPS. À notre époque, la théorie de la relativité n'est jamais très loin de nous...

Si les coordonnées d'espace-temps varient, le temps, quant à lui, s'écoule toujours dans la même direction. Cela peut nous surprendre : tant qu'à bouleverser les schémas fondamentaux de nos perceptions, pourquoi ne pas remonter le temps ? La « dilatation du temps » à des vitesses proches de celle de la lumière nous donne une réponse fort originale à cette question : « pourquoi le temps s'écoule-t-il toujours dans le même sens ? » Quelqu'un qui circule à une vitesse proche de la lumière vit dans un temps qui ralentit, par rapport à une autre personne qui poursuit son existence sur une planète dont l'horloge sert d'étalon temporel. Ce « temps qui ralentit » deviendrait théoriquement nul à la vitesse de la lumière, puis négatif - une fois que cette vitesse est dépassée. Cette personne qui circule à une vitesse supérieure à celle de la lumière reculerait dans le temps... Cela bouleverserait totalement la relation de causalité, ce qui est impossible. Ajoutons à cela le fait que la masse varie en fonction de la vitesse : à une vitesse proche de la lumière, la masse tend vers l'infini - et il faut donc pour obtenir une augmentation de vitesse un apport d'énergie qui lui aussi tend vers l'infini : là aussi, nous touchons à la frontière de l'impossibilité.

Toujours à propos de cette question du temps qui va obstinément dans le même sens, nous pouvons ajouter un autre motif à notre argumentation, en envisageant cette fois-ci la problématique sous l'angle de l'information : si nous filmons une tasse de porcelaine qui tombe d'une table et se brise sur le sol, il nous est parfaitement possible de faire passer la bobine dans l'autre sens, puis la voir se reconstituer, remonter sur la table et s'y poser, intacte. Il n'en est pas de même dans la réalité! Pourquoi ? À cause de l'entropie : nous sommes toujours en phase de déperdition d'énergie. L'information - qui est une forme d'énergie - contenue dans la tasse intacte, est plus grande que celle qui est contenue dans les débris. La tasse a perdu la plus grande partie de sa forme ; elle a perdu sa fonction ; elle a émis des bruits et dispersé son énergie en frottement et en chaleur. Toutes choses qui font que l'on ne peut pas remonter la pente. Il est vrai qu'un tel raisonnement pose autant de problèmes qu'il en résout : les notions de « forme » et de « fonction » n'existent pas concrètement, dans le monde des choses. Faut-il pour autant imaginer que ces notions existent dans un « monde des idées » ? On n'est pas loin de le penser : c'est toute la question de la « déraisonnable efficacité des mathématiques » (Trinh Xuan Thuan. Le Chaos et l’harmonie – la fabrication du réel. Gallimard Folio Coll. Essais 366 p. 531.) L’Univers est explicable mathématiquement, et s'y prête admirablement. Généralement, les mathématiques sont créées bien avant que les découvertes physiques ne viennent confirmer la validité du système mathématique en question. Sans doute le Nombre est-il l'essence de la Nature.

Il existe une sorte de « généalogie » des mathématiciens: les uns posent des questions, et les mathématiciens des générations suivantes tâchent d’y répondre, tout en posant des questions nouvelles. En 1900, le mathématicien nommé Hilbert (ibid. p. 540) lança un défi remarqué : il s'agissait de démontrer la cohérence des axiomes de l'arithmétique. Si l'on y parvenait, on aurait trouvé la véracité de tout énoncé mathématique. C'était en quelque sorte, le « Saint Graal » des mathématiques, qui les auraient rendues à jamais incontestables. L'enjeu était de taille ! Un autre mathématicien, un certain Gödel, s'attela au problème et donna son « théorème d'incomplétude » qui démontra, contre toute attente, qu'une telle prétention était insoutenable. Tout énoncé mathématique est incomplet en lui-même : il lui faut recourir à des axiomes qui lui sont extérieurs. Nous voyons ici le premier surgissement d'un phénomène qui aura d'immenses conséquences à notre époque : la science est parvenue à un état suffisant d'avancement pour être capable d’identifier de façon parfaitement scientifique les domaines qui resteront à jamais hors de son atteinte.

Revenons à notre vieille encyclopédie. Elle montre un univers où une matière passive est mue par de l'énergie qui lui est extérieure. Tous les points de cet univers sont déterminés par des grandes lois universelles immuables : si l'on avait une connaissance parfaite de chacun des éléments de cet univers à un moment précis, ces mêmes lois permettraient de prévoir l’évolution de chaque élément de l’univers, dans la suite des temps. C'est un univers parfaitement déterministe. L'évolution de ce monde se produit au long d'une unique ligne du temps : il s'agit d'une ligne de longueur infinie sur laquelle se déplace à une vitesse uniforme un point représentant le présent. Derrière ce point, s'étend la longueur pratiquement infinie du passé; devant ce point, s'étend la distance pratiquement infinie de l'avenir qui lui reste à parcourir. Il n'existe qu'un seul espace-temps : les trois dimensions de l'espace et la dimension temporelle qui forment notre cadre de vie.

- Il n'y a aucune raison de supposer que cette ligne du temps ait commencé en un point précis, supposé être celui de la Création.

- Il n'y a aucune raison non plus de supposer que cette ligne du temps cesse en un point donné, que l'on appellerait « fin des temps ».

- Dans cette perspective, le monde est exclusif : il n'existe et ne peut exister qu'un seul espace-temps : le nôtre. Si quelque chose d'autre se passe, cela doit nécessairement se situer avant ou après l'Histoire de l'humanité.

- C'est un monde clos sur lui-même : dans cette perspective, il est inimaginable de soutenir qu'une Volonté qui est située en dehors du monde puisse agir de quelque façon que ce soit dans cet univers, car cette action bousculera nécessairement les lois immuables de la nature, auxquelles on ne peut admettre aucune exception.

- Dans cette perspective toujours, il s'agit d'un monde déterministe : aucun espace de liberté n'est consenti aux éléments qui le constituent, car leur comportement est entièrement dicté par des lois connues, ou qui restent à découvrir.

- Dans cette perspective enfin, c'est la matière qui possède toutes les caractéristiques de la divinité : elle est éternelle - du moins en ses constituants fondamentaux - elle est omniprésente - ou du moins constitue tout ce qui est digne d'attention dans l'univers; elle est toute-puissante, car l'ensemble de l'énergie contenue dans l'univers agit par elle ; elle s'étend jusqu'à l'infini, car la science de l'époque pouvait imaginer que l'univers n'avait pas de limites.

Nous comprenons donc que cette vision du monde, élaborée au XIXème siècle et qui à cette époque possédait la force de l'évidence, est incompatible avec le Christianisme, et surtout avec l'idée chrétienne d'une action permanente de Dieu dans la création.


Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 28 Octobre 2013 à 10:19 | 6 commentaires | Permalien



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