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Les 60 ans de la mort de Staline. Dans un ouvrage poignant, le photographe Tomasz Kizny exhume les portraits des suppliciés de la répression des années 1937-1938. Photographier, c’est se souvenir
Par Arseni Roguinsky, président de l’Association « Memorial »
Voici un article d’Arsène Roguinsky publié dans le supplément « La grande terreur » , Le Monde daté du 6 mars Soixantième anniversaire de l’annonce de la mort de Joseph Staline. P.O. reprend cet article car d’ordre sans conteste religieux et nous faisant revenir à l’énigme de la théodicée (du grec Θεοũ δίκη, « justice de Dieu ») , explication de l'apparente contradiction entre l'existence du mal et deux caractéristiques propres à Dieu : sa toute-puissance et sa bonté. En l’occurrence de l’existence de l’empire du mal.
L’article est illustré par de nombreux clichés tirés des archives du FSB. Nous avons choisi celle d'un prêtre. Prions pour lui. Annotation du NKVD peu avant son exécution : Semion Nikolaevitch Kretchkiov, russe, né en 1876 dans le village de Ponizovie, région de Moscou. Etudes secondaires, sans parti, prêtre de l’église orthodoxe du village de Bykovo. Domicilié au village, rue Peredniaïa. Arrêté le 1 novembre 1937. Condamné à mort le 15 novembre 1937. Exécuté le 25 novembre 1937. Réhabilité en 1989.
Ce qui caractérise la mémoire de la Terreur, c'est qu'elle est avant tout incomplète.
Peu de gens se rendent compte que la Terreur avait ses instigateurs, ses organisateurs, ses responsables exécutants. Et surtout que tous ces crimes furent commis par un pouvoir d'Etat et au nom d'un Etat. Certes, il n'existe aucun acte juridique officiel selon lequel les campagnes de terreur ou certains actes de terreur étatique pourraient être qualifiés de criminels.[
Par Arseni Roguinsky, président de l’Association « Memorial »
Voici un article d’Arsène Roguinsky publié dans le supplément « La grande terreur » , Le Monde daté du 6 mars Soixantième anniversaire de l’annonce de la mort de Joseph Staline. P.O. reprend cet article car d’ordre sans conteste religieux et nous faisant revenir à l’énigme de la théodicée (du grec Θεοũ δίκη, « justice de Dieu ») , explication de l'apparente contradiction entre l'existence du mal et deux caractéristiques propres à Dieu : sa toute-puissance et sa bonté. En l’occurrence de l’existence de l’empire du mal.
L’article est illustré par de nombreux clichés tirés des archives du FSB. Nous avons choisi celle d'un prêtre. Prions pour lui. Annotation du NKVD peu avant son exécution : Semion Nikolaevitch Kretchkiov, russe, né en 1876 dans le village de Ponizovie, région de Moscou. Etudes secondaires, sans parti, prêtre de l’église orthodoxe du village de Bykovo. Domicilié au village, rue Peredniaïa. Arrêté le 1 novembre 1937. Condamné à mort le 15 novembre 1937. Exécuté le 25 novembre 1937. Réhabilité en 1989.
Ce qui caractérise la mémoire de la Terreur, c'est qu'elle est avant tout incomplète.
Peu de gens se rendent compte que la Terreur avait ses instigateurs, ses organisateurs, ses responsables exécutants. Et surtout que tous ces crimes furent commis par un pouvoir d'Etat et au nom d'un Etat. Certes, il n'existe aucun acte juridique officiel selon lequel les campagnes de terreur ou certains actes de terreur étatique pourraient être qualifiés de criminels.[
Il n'est pas simple de séparer les bourreaux des victimes dans la terreur soviétique. Prenons l'exemple des secrétaires de parti des comités régionaux pendant la Grande Terreur : en août 1937, ils étaient tous sans exception membres des troïkas et signaient des verdicts d'exécution à la pelle ; mais, dès novembre 1938, la moitié d'entre eux étaient passés par les armes.
Les " bourreaux " n'ont absolument pas été fixés dans la mémoire collective comme des crapules univoques : d'accord, untel a participé à la Terreur, mais il a tout de même fait construire des usines, des jardins d'enfants, des hôpitaux, et il surveillait personnellement la qualité de la nourriture dans les cantines ouvrières... Quant à son destin ultérieur, il suscite même une certaine compassion.
Cette incapacité de circonscrire le Mal empêche pour une grande part la formation d'une mémoire de la Terreur digne de ce nom. Il existe une autre cause importante du caractère problématique de la mémoire de la Terreur en Russie : aujourd'hui, cette mémoire n'est plus constituée de souvenirs personnels, les témoins ayant presque tous disparu.
Un assortiment d'images collectives du passé, formées non plus de souvenirs personnels ou familiaux, mais de mécanismes socioculturels divers, prend le relais de ces souvenirs. La politique historique, l'acharnement de l'élite politique postsoviétique visant à créer une image du passé dont s'accommoderait autant le pouvoir qu'elle-même, constitue l'un de ces mécanismes essentiels.
Dans la conscience populaire russe, deux images de l'époque stalinienne se forgèrent en un violent paradoxe : celle d'un régime criminel responsable de décennies de terreur étatique, et celle de l'époque des conquêtes glorieuses et des grandes réalisations, parmi lesquelles, évidemment, la victoire principale de la Grande Guerre patriotique occupait la première place.
La victoire, c'est l'époque de Staline, et la Terreur, c'est l'époque de Staline.
Il est impossible de concilier ces deux images du passé, à moins d'en écarter une ou tout au moins de ne pas la rectifier. Et c'est ce qui se passa : la mémoire de la Terreur s'estompa. Elle ne disparut pas complètement, mais elle fut refoulée à la périphérie de la conscience populaire.
Un phénomène similaire s'est produit dans la conscience occidentale. La place de Crime du siècle est déjà occupée : par les crimes nazis. La Terreur soviétique se trouve reléguée dans des zones lointaines, pire encore, une attention soutenue à son égard est souvent perçue comme une tentative d'amoindrir les crimes nazis. Au bout du compte, l'expérience tragique du stalinisme n'est pas vraiment assimilée par la conscience occidentale.
La mémorialisation de la Terreur suppose d'identifier et de préserver les " lieux de mémoire ". A ce jour, il s'agit presque exclusivement de lieux d'inhumation : fosses communes, et parfois grands cimetières des camps.
Mais le secret qui entourait les exécutions était tellement grand, les sources sur le sujet sont si difficiles à mettre au jour et donc si rares qu'à l'heure actuelle nous ne connaissons qu'une centaine de nécropoles des victimes de 1937-1938 - d'après nos estimations, cela représente moins d'un tiers de leur nombre global. Quant aux cimetières des camps, nous n'en connaissons que quelques dizaines parmi les milliers ayant existé. Pourtant, les cimetières sont la mémoire des victimes.
Dans les nouveaux manuels scolaires d'histoire, le thème du stalinisme est présenté comme un phénomène systémique.
Cela pourrait être un progrès. Mais la Terreur y apparaît comme un instrument historiquement déterminé et sans alternative, qui a permis de résoudre des problèmes d'Etat. Une telle conception n'exclut pas la compassion à l'égard des victimes du Moloch de l'Histoire, mais elle interdit catégoriquement le questionnement sur le caractère criminel de la Terreur et le responsable du crime.
Ceci n'est pas la conséquence d'une volonté d'idéalisation de Staline, mais un effet collatéral naturel d'une réponse à un problème totalement différent : la confirmation de l'idée bien ancrée du bon droit du pouvoir de l'Etat. Le pouvoir se trouve au-dessus des lois morales et juridiques. Il n'a pas de comptes à rendre à la justice étant donné qu'il est guidé par des intérêts d'Etat situés au-dessus des intérêts de l'homme et de la société, au-dessus de la morale et du droit. L'Etat a toujours raison - du moins quand il règle ses comptes avec ses ennemis. Cette idée imprègne les nouveaux manuels scolaires du début à la fin, et pas seulement lorsqu'il s'agit de répressions.
Nous avons pu nous convaincre que la mémoire de la Terreur dans la Russie contemporaine existe. Mais cette mémoire est morcelée, fragmentaire, refoulée, assortie d'innombrables réserves et jugements moraux douteux. Cette mémoire, verra-t-elle le jour, dans toute sa plénitude, en accord avec la connaissance historique, analysée sur la base de critères moraux et juridiques, intégrée à la conscience nationale comme élément à valeur culturelle et politique ?
Autre question : en l'absence d'une mémoire historique digne de ce nom, l'apparition d'un système normal de valeurs sociales, dans lequel la vie, la liberté et la dignité humaine seraient absolument prioritaires par rapport aux intérêts du pouvoir d'Etat, est-elle possible ? Ces deux questions sont directement en rapport avec les problèmes actuels qui se posent à la société russe.
Arseni Roguinski
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La Russie dénonce les crimes de Staline:
Parlons d'orthodoxie 94 Résultats pour votre recherche
Les " bourreaux " n'ont absolument pas été fixés dans la mémoire collective comme des crapules univoques : d'accord, untel a participé à la Terreur, mais il a tout de même fait construire des usines, des jardins d'enfants, des hôpitaux, et il surveillait personnellement la qualité de la nourriture dans les cantines ouvrières... Quant à son destin ultérieur, il suscite même une certaine compassion.
Cette incapacité de circonscrire le Mal empêche pour une grande part la formation d'une mémoire de la Terreur digne de ce nom. Il existe une autre cause importante du caractère problématique de la mémoire de la Terreur en Russie : aujourd'hui, cette mémoire n'est plus constituée de souvenirs personnels, les témoins ayant presque tous disparu.
Un assortiment d'images collectives du passé, formées non plus de souvenirs personnels ou familiaux, mais de mécanismes socioculturels divers, prend le relais de ces souvenirs. La politique historique, l'acharnement de l'élite politique postsoviétique visant à créer une image du passé dont s'accommoderait autant le pouvoir qu'elle-même, constitue l'un de ces mécanismes essentiels.
Dans la conscience populaire russe, deux images de l'époque stalinienne se forgèrent en un violent paradoxe : celle d'un régime criminel responsable de décennies de terreur étatique, et celle de l'époque des conquêtes glorieuses et des grandes réalisations, parmi lesquelles, évidemment, la victoire principale de la Grande Guerre patriotique occupait la première place.
La victoire, c'est l'époque de Staline, et la Terreur, c'est l'époque de Staline.
Il est impossible de concilier ces deux images du passé, à moins d'en écarter une ou tout au moins de ne pas la rectifier. Et c'est ce qui se passa : la mémoire de la Terreur s'estompa. Elle ne disparut pas complètement, mais elle fut refoulée à la périphérie de la conscience populaire.
Un phénomène similaire s'est produit dans la conscience occidentale. La place de Crime du siècle est déjà occupée : par les crimes nazis. La Terreur soviétique se trouve reléguée dans des zones lointaines, pire encore, une attention soutenue à son égard est souvent perçue comme une tentative d'amoindrir les crimes nazis. Au bout du compte, l'expérience tragique du stalinisme n'est pas vraiment assimilée par la conscience occidentale.
La mémorialisation de la Terreur suppose d'identifier et de préserver les " lieux de mémoire ". A ce jour, il s'agit presque exclusivement de lieux d'inhumation : fosses communes, et parfois grands cimetières des camps.
Mais le secret qui entourait les exécutions était tellement grand, les sources sur le sujet sont si difficiles à mettre au jour et donc si rares qu'à l'heure actuelle nous ne connaissons qu'une centaine de nécropoles des victimes de 1937-1938 - d'après nos estimations, cela représente moins d'un tiers de leur nombre global. Quant aux cimetières des camps, nous n'en connaissons que quelques dizaines parmi les milliers ayant existé. Pourtant, les cimetières sont la mémoire des victimes.
Dans les nouveaux manuels scolaires d'histoire, le thème du stalinisme est présenté comme un phénomène systémique.
Cela pourrait être un progrès. Mais la Terreur y apparaît comme un instrument historiquement déterminé et sans alternative, qui a permis de résoudre des problèmes d'Etat. Une telle conception n'exclut pas la compassion à l'égard des victimes du Moloch de l'Histoire, mais elle interdit catégoriquement le questionnement sur le caractère criminel de la Terreur et le responsable du crime.
Ceci n'est pas la conséquence d'une volonté d'idéalisation de Staline, mais un effet collatéral naturel d'une réponse à un problème totalement différent : la confirmation de l'idée bien ancrée du bon droit du pouvoir de l'Etat. Le pouvoir se trouve au-dessus des lois morales et juridiques. Il n'a pas de comptes à rendre à la justice étant donné qu'il est guidé par des intérêts d'Etat situés au-dessus des intérêts de l'homme et de la société, au-dessus de la morale et du droit. L'Etat a toujours raison - du moins quand il règle ses comptes avec ses ennemis. Cette idée imprègne les nouveaux manuels scolaires du début à la fin, et pas seulement lorsqu'il s'agit de répressions.
Nous avons pu nous convaincre que la mémoire de la Terreur dans la Russie contemporaine existe. Mais cette mémoire est morcelée, fragmentaire, refoulée, assortie d'innombrables réserves et jugements moraux douteux. Cette mémoire, verra-t-elle le jour, dans toute sa plénitude, en accord avec la connaissance historique, analysée sur la base de critères moraux et juridiques, intégrée à la conscience nationale comme élément à valeur culturelle et politique ?
Autre question : en l'absence d'une mémoire historique digne de ce nom, l'apparition d'un système normal de valeurs sociales, dans lequel la vie, la liberté et la dignité humaine seraient absolument prioritaires par rapport aux intérêts du pouvoir d'Etat, est-elle possible ? Ces deux questions sont directement en rapport avec les problèmes actuels qui se posent à la société russe.
Arseni Roguinski
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Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 5 Mars 2013 à 21:26
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