Nous publions ci-dessous la traduction française abrégée de l'entretien accordé par le métropolite Vladimir de Kiev, primat de l'Eglise orthodoxe ukrainienne, à V. Tsvid pour l'association de la jeunesse orthodoxe kiévienne, quelques jours après la visite en Ukraine des patriarches Alexis de Moscou et Bartholomé de Constantinople. Le texte complet de l'interview est sur le site officiel de l'Eglise ukrainienne.
- Béatitude, pourriez-vous expliquer pourquoi le 1020e anniversaire du baptême de la Russie a été célébré avec tant d'ampleur, alors que le 1010e anniversaire était passé plutôt inaperçu?
Oui, j'ai pu lire dans la presse que certains considéraient que la solennité de cette célébration était exagérée. En réalité, ce jubilé concernait non seulement l'événement historique de la conversion de notre peuple au christianisme, mais aussi la récente renaissance de la vie ecclésiale dans notre pays, commencée en 1988, alors que nous célébrions le millénaire du baptême de la Russie. C'était la première fois depuis soixante-dix ans que l'Église avait la possibilité de fêter un jubilé ouvertement. Depuis, une nouvelle génération a vu jour dans notre société : si elle n'est pas croyante dans sa totalité, du moins a-t-elle été élevée dans un contexte de tolérance à l’égard de la religion. Au cours de ces vingt dernières années, l'Église a grandi spirituellement et quantitativement. De nombreuses églises et monastères ont été rouverts, l'édition religieuse a repris, des écoles du dimanche ont été créées. Nous avons de quoi nous réjouir et des raisons de célébrer.
- Béatitude, pourriez-vous expliquer pourquoi le 1020e anniversaire du baptême de la Russie a été célébré avec tant d'ampleur, alors que le 1010e anniversaire était passé plutôt inaperçu?
Oui, j'ai pu lire dans la presse que certains considéraient que la solennité de cette célébration était exagérée. En réalité, ce jubilé concernait non seulement l'événement historique de la conversion de notre peuple au christianisme, mais aussi la récente renaissance de la vie ecclésiale dans notre pays, commencée en 1988, alors que nous célébrions le millénaire du baptême de la Russie. C'était la première fois depuis soixante-dix ans que l'Église avait la possibilité de fêter un jubilé ouvertement. Depuis, une nouvelle génération a vu jour dans notre société : si elle n'est pas croyante dans sa totalité, du moins a-t-elle été élevée dans un contexte de tolérance à l’égard de la religion. Au cours de ces vingt dernières années, l'Église a grandi spirituellement et quantitativement. De nombreuses églises et monastères ont été rouverts, l'édition religieuse a repris, des écoles du dimanche ont été créées. Nous avons de quoi nous réjouir et des raisons de célébrer.
Malheureusement, il y eut des bémols dans cette célébration. Je pense à l'immixtion de personnes étrangères à l'Église dans l'organisation des festivités. Leurs objectifs étaient plutôt politiques et fondés sur des ambitions personnelles. Cela a conduit par moment à des situations vraiment absurdes, voire tragicomiques, pendant ces cérémonies. Grâce à Dieu, cela n'a pas altéré la joie de la fête ni la compréhension mutuelle qui régnait entre les membres de l'Église. Mais des personnes peu familières aux questions ecclésiales ont pu être désorientées et il nous a fallu quelques efforts pour leur faire comprendre notre réalité.
- La visite du patriarche Alexis de Moscou et de toute la Russie a été plus courte que prévue. Le patriarche a annulé son voyage à Donetsk pour des raisons de santé et « à cause de circonstances attristantes ». Pourriez-vous expliquer, Monseigneur, de quelles circonstances il s'agit?
La santé du patriarche Alexis fut vraiment la principale raison de l'annulation de son voyage à Donetsk. Quant aux circonstances attristantes, je dirais que, dans le monde orthodoxe, les primats de toutes les Églises locales ont en principe les mêmes droits et la même dignité. Il aurait fallu recevoir avec les mêmes honneurs les patriarches de Moscou et de Constantinople. D'autant plus que c'est le président Viktor Youchtchenko qui avait lui-même invité le patriarche Alexis en Ukraine. Le protocole des festivités, préparé par le cabinet du président, a été pour le moins incorrect à l'égard du patriarche de Moscou. Tout a été tout fait pour le mettre au dernier plan, ce qui est irrespectueux envers les fidèles de l'Église russe, qui sont les plus nombreux aujourd'hui en Ukraine. Mais ce n'est pas cela le plus important. Il est triste que certains hommes politiques cherchent à s'immiscer dans la vie intérieure de l'Église en provoquant des conflits et des schismes.
- Toute personne ayant suivi avec attention les festivités du 1020e anniversaire a pu constater que l'Église orthodoxe ukrainienne avait été reléguée aux dernières loges des célébrations. Pourquoi une telle mise en scène ?
On parle souvent, aujourd'hui, de « lobbying ». Cette activité occupe les institutions publiques, mais aussi la télévision qui, ces derniers jours, s'est volontiers prêtée à l'exercice d’une tâche commanditée par les autorités politiques. L'Église orthodoxe ukrainienne a subi une sorte de boycott médiatique. Par exemple, les médias ont beaucoup parlé des initiatives caritatives et culturelles prises à l'occasion du 1020e anniversaire du baptême de la Russie, comme la distribution aux aveugles d’icônes tactiles de saint Vladimir ou le financement de la restauration et de l'édition facsimilée d'un des plus anciens manuscrits ukrainiens des Évangiles... Pourtant, peu d'entre eux ont précisé qu'il s'agissait d’initiatives de notre Église.
- Même avec un badge de journaliste, je n'ai pu accéder aux célébrations sur la place Sainte-Sophie et sur le mont Saint-Vladimir. Que dire des milliers de fidèles qui n'ont pas eu accès aux liturgies du jubilé ?
Nous revenons ici à l'incompétence des hommes politiques dans l'organisation des manifestations religieuses. Soucieux, sans doute, de créer un effet de masse, les organisateurs issus des pouvoirs civils ont réuni des représentants de diverses organisations... Ce fut encore plus triste au mont Saint-Vladimir, car de nombreux croyants n'ont pu participer à la liturgie. C'est un véritable drame, car de tels actes forment une idée négative de l'Église chez des chrétiens qui ne sont pas spécialement pratiquants. Les chrétiens doivent avoir la possibilité de venir aux célébrations ecclésiales sans avoir besoin d'un laissez-passer.
- Pensez-vous, Béatitude, qu'il est possible que le patriarche de Constantinople, sensible à l'accueil qui lui fut réservé à Kiev, soit tenté de prendre sous sa juridiction la structure schismatique qui se fait appeler « patriarcat de Kiev » ou bien la prétendue « Église autocéphale d'Ukraine » ?
Nous avions songé à un tel dénouement, mais c'était très peu probable. Je ne crois pas que le patriarche de Constantinople puisse reconnaître l'autocéphalie d'une Église schismatique. Il comprend très bien que la formation de structures ecclésiales du patriarcat de Constantinople en Ukraine ne ferait que générer de nouveaux conflits dans la vie religieuse de notre pays. Quant aux projets qu'avaient notre président, on ne peut en dire que la chose suivante : utiliser l'Église à des fins politiques est dangereux et irréfléchi.
- Béatitude, pourriez-vous expliquer pourquoi, la veille des célébrations en Ukraine, le patriarche Alexis a dissuadé les primats des Églises orthodoxes de venir à Kiev, tout en y allant lui-même ? [Seuls deux primats orthodoxes – l'archevêque d'Athènes et l'archevêque d'Albanie – sont venus à Kiev – NdT].
Il est notoire que les autorités civiles et les dissidents du « patriarcat de Kiev » et de « l'Église autocéphale ukrainienne » faisaient beaucoup de spéculations au sujet de la visite de Bartholomé 1er et essayaient de l'impliquer dans un grand conflit religieux. En prévoyant ces intrigues, le patriarche Alexis II a recommandé aux primats des Églises orthodoxes de s'abstenir de rendre visite en Ukraine en de telles circonstances. Il a été écouté, à deux exceptions. Qu’il soit lui-même venu rendre visite à l'Église qui relève de sa juridiction, c’est non seulement son droit, mais aussi son devoir.
- Monseigneur, la question de l'autocéphalie (ou autrement dit, de l'indépendance totale) de l'Église orthodoxe ukrainienne qui est déjà autonome, est comme une bougie au vent : elle s'éteint et s'embrase successivement. Croyez-vous que le temps soit venu pour votre Église d'accéder à l'autocéphalie?
D'abord, il faut souligner que notre Église ne dépend du patriarcat de Moscou que sur le plan eucharistique, sacramentel. Nous sommes parfaitement indépendants sur le plan administratif, organisationnel et financier. Par ailleurs, l'autocéphalie n'est possible que si elle est souhaitée par la majorité de l'épiscopat, du clergé et des laïcs. Aujourd'hui, les avis sont très partagés sur cette question, aussi ne souhaitons-nous pas forcer les événements et aggraver les divisions dans le peuple de Dieu. Il faut ajouter également que l'activité ambiguë du « patriarcat de Kiev » et de « l'Église autocéphale ukrainienne » a compromis l'idée de l'autocéphalie. Beaucoup de fidèles la redoutent. Ainsi, la question de l'autocéphalie demande une grande sagesse et beaucoup de prudence.
- Après le départ du patriarche Bartholomé, certains médias ont parlé d'une confrontation à Kiev entre les patriarches de Moscou et de Constantinople. En quoi aurait-elle consisté ?
Les dernières rencontres à Kiev entre les patriarches Alexis et Bartholomé ont montré qu'il y a entre eux une compréhension mutuelle et non une opposition. Espérons que leurs rapports ne cesseront de se développer d'une façon constructive.
Traduit en français par le hiéromoine Alexandre Siniakov
- La visite du patriarche Alexis de Moscou et de toute la Russie a été plus courte que prévue. Le patriarche a annulé son voyage à Donetsk pour des raisons de santé et « à cause de circonstances attristantes ». Pourriez-vous expliquer, Monseigneur, de quelles circonstances il s'agit?
La santé du patriarche Alexis fut vraiment la principale raison de l'annulation de son voyage à Donetsk. Quant aux circonstances attristantes, je dirais que, dans le monde orthodoxe, les primats de toutes les Églises locales ont en principe les mêmes droits et la même dignité. Il aurait fallu recevoir avec les mêmes honneurs les patriarches de Moscou et de Constantinople. D'autant plus que c'est le président Viktor Youchtchenko qui avait lui-même invité le patriarche Alexis en Ukraine. Le protocole des festivités, préparé par le cabinet du président, a été pour le moins incorrect à l'égard du patriarche de Moscou. Tout a été tout fait pour le mettre au dernier plan, ce qui est irrespectueux envers les fidèles de l'Église russe, qui sont les plus nombreux aujourd'hui en Ukraine. Mais ce n'est pas cela le plus important. Il est triste que certains hommes politiques cherchent à s'immiscer dans la vie intérieure de l'Église en provoquant des conflits et des schismes.
- Toute personne ayant suivi avec attention les festivités du 1020e anniversaire a pu constater que l'Église orthodoxe ukrainienne avait été reléguée aux dernières loges des célébrations. Pourquoi une telle mise en scène ?
On parle souvent, aujourd'hui, de « lobbying ». Cette activité occupe les institutions publiques, mais aussi la télévision qui, ces derniers jours, s'est volontiers prêtée à l'exercice d’une tâche commanditée par les autorités politiques. L'Église orthodoxe ukrainienne a subi une sorte de boycott médiatique. Par exemple, les médias ont beaucoup parlé des initiatives caritatives et culturelles prises à l'occasion du 1020e anniversaire du baptême de la Russie, comme la distribution aux aveugles d’icônes tactiles de saint Vladimir ou le financement de la restauration et de l'édition facsimilée d'un des plus anciens manuscrits ukrainiens des Évangiles... Pourtant, peu d'entre eux ont précisé qu'il s'agissait d’initiatives de notre Église.
- Même avec un badge de journaliste, je n'ai pu accéder aux célébrations sur la place Sainte-Sophie et sur le mont Saint-Vladimir. Que dire des milliers de fidèles qui n'ont pas eu accès aux liturgies du jubilé ?
Nous revenons ici à l'incompétence des hommes politiques dans l'organisation des manifestations religieuses. Soucieux, sans doute, de créer un effet de masse, les organisateurs issus des pouvoirs civils ont réuni des représentants de diverses organisations... Ce fut encore plus triste au mont Saint-Vladimir, car de nombreux croyants n'ont pu participer à la liturgie. C'est un véritable drame, car de tels actes forment une idée négative de l'Église chez des chrétiens qui ne sont pas spécialement pratiquants. Les chrétiens doivent avoir la possibilité de venir aux célébrations ecclésiales sans avoir besoin d'un laissez-passer.
- Pensez-vous, Béatitude, qu'il est possible que le patriarche de Constantinople, sensible à l'accueil qui lui fut réservé à Kiev, soit tenté de prendre sous sa juridiction la structure schismatique qui se fait appeler « patriarcat de Kiev » ou bien la prétendue « Église autocéphale d'Ukraine » ?
Nous avions songé à un tel dénouement, mais c'était très peu probable. Je ne crois pas que le patriarche de Constantinople puisse reconnaître l'autocéphalie d'une Église schismatique. Il comprend très bien que la formation de structures ecclésiales du patriarcat de Constantinople en Ukraine ne ferait que générer de nouveaux conflits dans la vie religieuse de notre pays. Quant aux projets qu'avaient notre président, on ne peut en dire que la chose suivante : utiliser l'Église à des fins politiques est dangereux et irréfléchi.
- Béatitude, pourriez-vous expliquer pourquoi, la veille des célébrations en Ukraine, le patriarche Alexis a dissuadé les primats des Églises orthodoxes de venir à Kiev, tout en y allant lui-même ? [Seuls deux primats orthodoxes – l'archevêque d'Athènes et l'archevêque d'Albanie – sont venus à Kiev – NdT].
Il est notoire que les autorités civiles et les dissidents du « patriarcat de Kiev » et de « l'Église autocéphale ukrainienne » faisaient beaucoup de spéculations au sujet de la visite de Bartholomé 1er et essayaient de l'impliquer dans un grand conflit religieux. En prévoyant ces intrigues, le patriarche Alexis II a recommandé aux primats des Églises orthodoxes de s'abstenir de rendre visite en Ukraine en de telles circonstances. Il a été écouté, à deux exceptions. Qu’il soit lui-même venu rendre visite à l'Église qui relève de sa juridiction, c’est non seulement son droit, mais aussi son devoir.
- Monseigneur, la question de l'autocéphalie (ou autrement dit, de l'indépendance totale) de l'Église orthodoxe ukrainienne qui est déjà autonome, est comme une bougie au vent : elle s'éteint et s'embrase successivement. Croyez-vous que le temps soit venu pour votre Église d'accéder à l'autocéphalie?
D'abord, il faut souligner que notre Église ne dépend du patriarcat de Moscou que sur le plan eucharistique, sacramentel. Nous sommes parfaitement indépendants sur le plan administratif, organisationnel et financier. Par ailleurs, l'autocéphalie n'est possible que si elle est souhaitée par la majorité de l'épiscopat, du clergé et des laïcs. Aujourd'hui, les avis sont très partagés sur cette question, aussi ne souhaitons-nous pas forcer les événements et aggraver les divisions dans le peuple de Dieu. Il faut ajouter également que l'activité ambiguë du « patriarcat de Kiev » et de « l'Église autocéphale ukrainienne » a compromis l'idée de l'autocéphalie. Beaucoup de fidèles la redoutent. Ainsi, la question de l'autocéphalie demande une grande sagesse et beaucoup de prudence.
- Après le départ du patriarche Bartholomé, certains médias ont parlé d'une confrontation à Kiev entre les patriarches de Moscou et de Constantinople. En quoi aurait-elle consisté ?
Les dernières rencontres à Kiev entre les patriarches Alexis et Bartholomé ont montré qu'il y a entre eux une compréhension mutuelle et non une opposition. Espérons que leurs rapports ne cesseront de se développer d'une façon constructive.
Traduit en français par le hiéromoine Alexandre Siniakov