Vladimir Golovanow

La résolution « Promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales grâce à une compréhension profonde des valeurs traditionnelles de l’humanité » (1) a été adoptée le 27 septembre 2012 par le Conseil de l’ONU aux droits de l’homme(2) Introduite par la Fédération de Russie cette résolution a été élaborée avec plus de 60 pays, y compris les membres de l’Organisation de la collaboration islamique et ceux de la Ligue des états arabes, et le site officiel du patriarcat de Moscou (3) ajoute que l’Église orthodoxe russe y a participé, avec d’autres religions russes traditionnelles, en prenant en compte la compréhension de la valeur des droits de l’homme dans le contexte de la dignité de la personne exposée dans le document « Principes de la doctrine de l’Église orthodoxe russe sur la dignité, la liberté et les droits de l’homme »(4) adopté au Concile épiscopal le 26 juin 2008.

En fait le Conseil démontre l'affrontement de deux parties inconciliables comme le souligne le vote (seuls 7 états sur 47 membres se sont abstenus):

· 25 états ont voté pour (détail en (5)), dont aucun n'appartient aux états occidentaux. Ils soutiennent que la compréhension et le respect des valeurs traditionnelles favorise la promotion et la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

· 15 ont voté contre: tous les états occidentaux du Conseil ainsi que des représentants "non alignés"... (détail en (6)). Ils considèrent que les valeurs traditionnelles sont utilisées pour limiter les droits humains dans le monde.
Revenons sur ces positons de façon plus détaillée:

Contre un monopole idéologique

La résolution adoptée part du principe que les valeurs traditionnelles peuvent être utilisées pour promouvoir les droits humains et leur donner une «légitimité additionnelle». "La Russie insiste sur le fait "qu’aucun état ou groupe d’états n’a le droit de monopoliser l’interprétation des normes dans le domaine des droits de l’homme. Les tentatives d’imposer une interprétation unilatérale comme norme universelle ont des conséquences pernicieuses sur la perception du concept même des droits de l’homme, le rendant étranger à des sociétés entières ou à de larges couches de population. Au contraire, l’insistance sur le lien entre les valeurs traditionnelles et les droits de l’homme permet de contribuer à une meilleure compréhension et à une plus grande reconnaissance des droits de l’homme, favorisant la confiance et la mise en place d’un dialogue au niveau de la société internationale." (ibid. 4).

Pour ceux qui ont voté cette résolution, la compréhension et le respect des valeurs traditionnelles favorisent la promotion et la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La famille, la société et les établissements d’enseignement jouent un rôle important dans l’affirmation de ces valeurs et un appel à renforcer ce rôle a été lancé aux états. Les "droits de l’homme", par contre, sont «vus comme étant un concept occidental» et ne sont pas perçus comme étant «pertinents dans le contexte des communautés non-occidentales». Des valeurs traditionnelles telles que la dignité, la liberté et la responsabilité seraient au contraire partagées par l’ensemble de l’humanité (7).

Universalité des droits humains?

Les Occidentaux, au contraire, considèrent les particularismes traditionnels comme contraires au "principe d’universalité des droits humains". Pour eux la reconnaissance des valeurs traditionnelles aurait un impact négatif sur les droits humains et ils rapprochent cela de "l'ethnicisme", trop souvent utilisé par le passé pour justifier toutes sortes de répressions au nom de la coutume. Plusieurs états partisans des valeurs traditionnelles auraient montré, d'après les occidentaux, "une interprétation limitée de l’universalité des droits de l’homme" et considèreraient que ceux-ci ne valent que pour certains groupes de personnes. Ainsi pour les représentants de l’Allemagne et du Japon des valeurs traditionnelles telles que la dignité, la liberté et la responsabilité, auraient des acceptions différentes selon les régions: la dignité, par exemple, est souvent liée de manière traditionnelle aux perceptions des rôles de genre dans une société. La représentante française a souligné de son coté que la notion de famille varie d’une culture à l’autre et que ces différences doivent être respectées. Alors que la résolution demande aux états de renforcer son rôle comme véhicule de promotion des valeurs traditionnelles, il a été absolument impossible lors des négociations, d’évoquer les différentes formes que peut prendre la famille "en dehors de sa configuration traditionnelle" qui est la seule que veulent retenir les états qui ont soutenu la résolution. (ibid 7)

L'impérialisme intellectuel de l'Occident

Ainsi ce vote est très caractéristique du clivage idéologique entre l'Occident développé et pratiquement tout le reste de l'humanité (sauf ces états non développés qui votent avec les occidentaux ou s'abstiennent. Cf. 6). Cette minorité (en nombre d'états, mais aussi en nombre d'individus sur terre), prétend imposer, et nous impose déjà ici par un matraquage intellectuel permanent, des notions novatrices, fondées en fait sur un individualisme forcené ("l'épanouissement individuel" devient une fin en soi), la dislocation de la famille et l'exclusion des religions considérées comme aliénantes ("l'opium des peuples" n'est pas loin). Et le plus extraordinaire c'est que ce point de vue, clairement minoritaire dans le monde, est présenté comme "une norme universelle".

Voici par exemple ce qu'écrit "humanrights.ch" (ibid. 7): "il est du devoir du Comité consultatif de mettre tout en œuvre afin que l’universalité des droits humains ne soit pas menacé par le concept de valeur traditionnelle. De même, il est essentiel qu'aucune valeur traditionnelle, religieuse ou culturelle de quelque partie que se soit ne puisse servir à justifier la violation de droits humains.

Ceci dit, il reste utile de savoir et de comprendre ce que peuvent apporter les traditions aux droits humains. C’est aussi ce qu’ont démontré les discussions faites sur les pratiques culturelles dommageables. Le débat ne doit pas forcément conduire à la mise au ban des valeurs traditionnelles. Si les traditions peuvent, et doivent parfois, être remises en causes par les droits humains, elles peuvent également gagner une nouvelle valeur et une nouvelle légitimité à travers eux. Les représentants des traditions religieuses ont également la possibilité de les réinterpréter à travers le prisme des droits humains. Dans ce même esprit, l’on trouve aussi dans les traditions religieuses de nombreuses connexions avec les droits humains, pour une application plus avancées dans des sociétés où ils ne sont pas encore intégrés dans la culture quotidienne. Il est alors possible dans ce contexte qu’une interprétation spécifique des traditions religieuses amène à une meilleure compréhension des droits humains. Il reste cependant d’après nous erroné d’attendre qu’une vision des droits humains sous l’angle des traditions religieuses puisse apporter une reconnaissance fondamentale des premiers, ou encore moins en devenir un fondement."

* * *
(1)
(2)
(3)
(4)

(5) Ont voté pour (25): Angola, Arabie Saoudite, Bangladesh, Burkina Faso, Cameroun, Chine, Congo, Cuba, Djibouti, Équateur, Fédération de Russie, Inde, Indonésie, Jordanie, Kirghizistan, Koweït, Libye, Malaisie, Maldives, Mauritanie, Philippines, Qatar, Sénégal, Thaïlande et Uganda

(6) Ont voté contre (15): Autriche, Belgique, Botswana, Costa Rica, Espagne, États Unis, Hongrie, Italie, Maurice, Mexique, Norvège, Pologne, République tchèque, Roumanie et Suisse.
Abstentions (7): Bénin, Chili, Guatemala, Nigéria, Pérou, République de Moldavie et Uruguay.

(7)


Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 7 Octobre 2012 à 14:46 | 18 commentaires | Permalien



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