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Revue « Possev » №6-2014, Moscou-Francfort
Traduction Nikita Krivocheine
Anna Kourt : J’ai eu le bonheur d’avoir pu converser avec Pavel Volfovitch Men, le frère cadet du père Alexandre avec lequel il était très proche.Pavel Men a évoqué des faits inconnus, des souvenirs de leur enfance et de leur jeunesse communes, il a trouvé des éclairages nouveaux de ce destin passionnant et tragique
PARTIE II
Anna Kourt : Y a-t-il eu dans votre vie des situations dans lesquelles vous sentiez manifestement une intervention divine ? Avez-vous ressenti avoir été aidé? Avez-vous vécu des états de prière intenses?
Pavel Men: Il y a eu dans ma vie des moments très intenses. J’étais à Cuba au moment de la crise des missiles, dans d’autres situations également très dures. Toujours j’ai senti que j’ai été aidé. J’avais le sentiment qu’une Force, tout près de moi, me protégeait.
Traduction Nikita Krivocheine
Anna Kourt : J’ai eu le bonheur d’avoir pu converser avec Pavel Volfovitch Men, le frère cadet du père Alexandre avec lequel il était très proche.Pavel Men a évoqué des faits inconnus, des souvenirs de leur enfance et de leur jeunesse communes, il a trouvé des éclairages nouveaux de ce destin passionnant et tragique
PARTIE II
Anna Kourt : Y a-t-il eu dans votre vie des situations dans lesquelles vous sentiez manifestement une intervention divine ? Avez-vous ressenti avoir été aidé? Avez-vous vécu des états de prière intenses?
Pavel Men: Il y a eu dans ma vie des moments très intenses. J’étais à Cuba au moment de la crise des missiles, dans d’autres situations également très dures. Toujours j’ai senti que j’ai été aidé. J’avais le sentiment qu’une Force, tout près de moi, me protégeait.
Anna Kourt : Il vous est arrivé de dire que le père Alexandre avait le génie du contact, qu’il savait se montrer patient même avec les interlocuteurs les plus difficiles ?
Pavel Men: Mon frère avait un don très rare, il avait une appréhension naturelle de tous ses interlocuteurs, même les plus « difficiles ». Cette faculté lui a été plus qu’utile dans son sacerdoce. Un exemple : une « babouchka » (une dame âgée) l’aborde sur un quai de gare et lui pose une question. Alexandre prend pour lui répondre le ton sévère d’un maître d’école. Cela m’a étonné car ce ton ne lui était pas propre. A ma question : « Qu’est-ce qui t’a pris ? » il répond que cette sévérité de la part d’un prêtre est ce qui convient le mieux en l’occurrence et même ce qui plaît à cette vieille dame.
Dans les années 70 quand l’église de Novaya Derevnia était en pleine croissance nous observions un afflux de toute sorte de paroissiens : introvertis, névrosés, alcooliques chevronnés et débutants, un grand nombre de personnalités créatrices n’ayant pas su se réaliser ce qui les avait aigris. Le père Alexandre savait trouver le chemin de leurs cœurs et les orienter dans la voie de la spiritualité. Lors de sa première rencontre avec le père Alexandre la célèbre pianiste Marie Youdina lui a dit – je voudrai vous avoir en tant qu’ami car j’ai entendu dire que vous êtes apte à convertir les gens.
Photo: Alexandre Menj, service militaire, 1950
Je n’avais pas cette faculté, aussi je me liais seulement aux paroissiens « sympathiques ». On ne pouvait que s’étonner de voir comment le père Alexandre parvenait à supporter des interlocuteurs aussi difficiles, parfois franchement désagréables… Il m’a dit : « Lorsque je vois venir une personnalité complexe, traumatisée, d’un contact difficile j’essaye de l’imaginer toute petite, ne faisant qu’entrer dans la vie, non mutilé par ses complexes, par des frustrations, des circonstances pénibles et je m’emploie à ce qu’il se tourne vers ses facultés créatrices, vers le meilleur de ce qu’il y a en lui ».
Anna Kourt: Quelle était l’attitude des autorités ecclésiales à l’égard des activités missionnaires du père Alexandre ?
Nous venions de l’église des catacombes et nous savions que les évêques sous la pression constante des autorités. Une fois le père Alexandre a rencontré le métropolite Juvénal. Il me dit : Tu vas rire mais le métropolite est quelqu’un qui croit ! Et à propos du métropolite Pitirim – Au KGB ils pensent qu’il est croyant mais ils se trompent. Le milieu épiscopal était très fermé mais nous savions plus ou moins bien ce qui s’y passait.
Pavel Men: Lorsque à l’école nous allions à l’église d’Izmaïlovo écouter les homélies du père Jean Krestiankine Les prêtres comme lui se comptaient sur les doigts d’une main. Pratiquement tous les autres collaboraient d’une manière ou d’une autre. Alexandre en était parfaitement conscient.
Anna Kourt: Sous quels pseudonymes ont paru les premiers livres de votre frère ?
Pavel Men: La première édition du « Fils de l’Homme » était signée André Bogolioubov. D’autres pseudonymes ont également été utilisés comme Emmanuel Svetlov ou A.Pavlov.
Pavel Men: Mon frère avait un don très rare, il avait une appréhension naturelle de tous ses interlocuteurs, même les plus « difficiles ». Cette faculté lui a été plus qu’utile dans son sacerdoce. Un exemple : une « babouchka » (une dame âgée) l’aborde sur un quai de gare et lui pose une question. Alexandre prend pour lui répondre le ton sévère d’un maître d’école. Cela m’a étonné car ce ton ne lui était pas propre. A ma question : « Qu’est-ce qui t’a pris ? » il répond que cette sévérité de la part d’un prêtre est ce qui convient le mieux en l’occurrence et même ce qui plaît à cette vieille dame.
Dans les années 70 quand l’église de Novaya Derevnia était en pleine croissance nous observions un afflux de toute sorte de paroissiens : introvertis, névrosés, alcooliques chevronnés et débutants, un grand nombre de personnalités créatrices n’ayant pas su se réaliser ce qui les avait aigris. Le père Alexandre savait trouver le chemin de leurs cœurs et les orienter dans la voie de la spiritualité. Lors de sa première rencontre avec le père Alexandre la célèbre pianiste Marie Youdina lui a dit – je voudrai vous avoir en tant qu’ami car j’ai entendu dire que vous êtes apte à convertir les gens.
Photo: Alexandre Menj, service militaire, 1950
Je n’avais pas cette faculté, aussi je me liais seulement aux paroissiens « sympathiques ». On ne pouvait que s’étonner de voir comment le père Alexandre parvenait à supporter des interlocuteurs aussi difficiles, parfois franchement désagréables… Il m’a dit : « Lorsque je vois venir une personnalité complexe, traumatisée, d’un contact difficile j’essaye de l’imaginer toute petite, ne faisant qu’entrer dans la vie, non mutilé par ses complexes, par des frustrations, des circonstances pénibles et je m’emploie à ce qu’il se tourne vers ses facultés créatrices, vers le meilleur de ce qu’il y a en lui ».
Anna Kourt: Quelle était l’attitude des autorités ecclésiales à l’égard des activités missionnaires du père Alexandre ?
Nous venions de l’église des catacombes et nous savions que les évêques sous la pression constante des autorités. Une fois le père Alexandre a rencontré le métropolite Juvénal. Il me dit : Tu vas rire mais le métropolite est quelqu’un qui croit ! Et à propos du métropolite Pitirim – Au KGB ils pensent qu’il est croyant mais ils se trompent. Le milieu épiscopal était très fermé mais nous savions plus ou moins bien ce qui s’y passait.
Pavel Men: Lorsque à l’école nous allions à l’église d’Izmaïlovo écouter les homélies du père Jean Krestiankine Les prêtres comme lui se comptaient sur les doigts d’une main. Pratiquement tous les autres collaboraient d’une manière ou d’une autre. Alexandre en était parfaitement conscient.
Anna Kourt: Sous quels pseudonymes ont paru les premiers livres de votre frère ?
Pavel Men: La première édition du « Fils de l’Homme » était signée André Bogolioubov. D’autres pseudonymes ont également été utilisés comme Emmanuel Svetlov ou A.Pavlov.
Photo: Alexandre Men et son épouse, Nathalie Grigorenko, 1956
Anna Kourt: Vous avez en vue les éditions "Jyznj s Bogom" - La vie avec Dieu. Pourriez-vous dire quelques mots à propos de la collaboration du père Alexandre avec cette maison d’édition ?
Pavel Men: C’est en 1966 qu’Alexandre a fait, à Moscou, la rencontre d’Anastasia Douroff. C’est grâce à elle qu’un contact a pu être établi avec "Jyznj s Bogom" Alexandre ne mentionnait jamais le nom de cette amie. Mais je savais qu’il rencontrait des étrangers, des Français. Il me disait – tu sais, je crois que je commence à comprendre « les allogènes », il avait recours à ce terme pour ne pas avoir à dire « les étrangers », à cause des écoutes.
A l’époque le mot « étranger » faisait dresser l’oreille et s’associait avec la notion « ennemi ». Il arrivait à Alexandre de mentionner Assia (Douroff), exclusivement par son prénom, sans plus de précisions. En 1967 "Jyznj s Bogom" a sorti une version russe de « L’introduction à la vie dévote » de François de Sales traduite par Vera Vassilievskaya, notre tante. Alexandre était tombé sur ce livre dans un grenier poussiéreux alors qu’il était étudiant à Irkoutsk. A l’école il étudiait le français et il a immédiatement compris que « L’Introduction » pouvait dans les conditions de l’époque être d’un grand secours aux orthodoxes.
C’est en 1968 que sort « Le Fils de l’Homme » réédité en 1969 revu et corrigé. Ce livre est l’œuvre de la vie du père Alexandre. Il y a travaillé toute sa vie. On compte cinq versions revues de ce texte. La deuxième est datée de 1976. Quelques mois avant sa fin tragique mon frère avait de nouveau relu le manuscrit et prié un spécialiste de le revoir.
En 1970-1972 paraissent quatre volumes de la série « A la recherche de la Voie. Vérités et vies ». Suite à ces publications «Jyznj s Bogom » évoque la candidature du père Alexandre au prix Goncourt.
Alexandre réagit par un refus catégorique le « Gué Bé » (nous l’appelions entre nous Galina Borisovna) aurait immédiatement su de qui il s’agit en réalité. Des visiteurs étrangers proposaient au père Alexandre d’accepter des cachets, il n’a jamais voulu le faire.
Anna Kourt: Vous avez en vue les éditions "Jyznj s Bogom" - La vie avec Dieu. Pourriez-vous dire quelques mots à propos de la collaboration du père Alexandre avec cette maison d’édition ?
Pavel Men: C’est en 1966 qu’Alexandre a fait, à Moscou, la rencontre d’Anastasia Douroff. C’est grâce à elle qu’un contact a pu être établi avec "Jyznj s Bogom" Alexandre ne mentionnait jamais le nom de cette amie. Mais je savais qu’il rencontrait des étrangers, des Français. Il me disait – tu sais, je crois que je commence à comprendre « les allogènes », il avait recours à ce terme pour ne pas avoir à dire « les étrangers », à cause des écoutes.
A l’époque le mot « étranger » faisait dresser l’oreille et s’associait avec la notion « ennemi ». Il arrivait à Alexandre de mentionner Assia (Douroff), exclusivement par son prénom, sans plus de précisions. En 1967 "Jyznj s Bogom" a sorti une version russe de « L’introduction à la vie dévote » de François de Sales traduite par Vera Vassilievskaya, notre tante. Alexandre était tombé sur ce livre dans un grenier poussiéreux alors qu’il était étudiant à Irkoutsk. A l’école il étudiait le français et il a immédiatement compris que « L’Introduction » pouvait dans les conditions de l’époque être d’un grand secours aux orthodoxes.
C’est en 1968 que sort « Le Fils de l’Homme » réédité en 1969 revu et corrigé. Ce livre est l’œuvre de la vie du père Alexandre. Il y a travaillé toute sa vie. On compte cinq versions revues de ce texte. La deuxième est datée de 1976. Quelques mois avant sa fin tragique mon frère avait de nouveau relu le manuscrit et prié un spécialiste de le revoir.
En 1970-1972 paraissent quatre volumes de la série « A la recherche de la Voie. Vérités et vies ». Suite à ces publications «Jyznj s Bogom » évoque la candidature du père Alexandre au prix Goncourt.
Alexandre réagit par un refus catégorique le « Gué Bé » (nous l’appelions entre nous Galina Borisovna) aurait immédiatement su de qui il s’agit en réalité. Des visiteurs étrangers proposaient au père Alexandre d’accepter des cachets, il n’a jamais voulu le faire.
Anna Kourt: Quand précisément les persécutions du père Alexandre ont-elles commencé ?
Photo: De gauche à droite Soljenytsine, le peintre Y. Titov, A.Men, années 1960
Pavel Men: Nous avons récemment appris que le 25 mars 1974 Andropov, alors Président du KGB, avait fait parvenir au Politburo une note dont l’un des alinéas disait :
« Plusieurs prêtres pro catholiques dirigée par A.Men (région de Moscou) inculquent dans leurs ouvrages théologiques que seul le catholicisme peut servir d’idéal à la vie de l’église. Ces manuscrits sont sortis clandestinement du pays et publiés par les éditions "Jyznj s Bogom" (Belgique). Puis ils sont diffusés en URSS ».
Et cela malgré toutes les précautions que dont s’entourait le père Alexandre.
Une telle note ne pouvait être que l’aboutissement d’une enquête secrète approfondie. Il va de soi que la note n’avait rien à voir avec la vision qu’avaient Andropov et ses collaborateurs des relations entre l’orthodoxie et le catholicisme. Andropov savait parfaitement, j’en suis persuadé, qu’il n’existait pas de « groupe de prêtres pro catholiques ». C’était là une simple clause de style, une manifestation de « vigilance », une manipulation idéologique.
Les murs de nos appartements avaient des oreilles. On pouvait également supposer que le KGB était informé par ses agents à l’étranger. C’est de toute évidence à cette époque que les pseudonymes d’Alexandre furent démasqués.
Vers la fin des années 70 un fonctionnaire « des organes spéciaux » appela Alexandre et lui fixa rendez-vous. La rencontre eut lieu dans une rue de Moscou. « Etes-vous bien Svetlov, Pavlov, Bogolioubov ? » interrogea le fonctionnaire d’un ton semi affirmatif. Il devenait inutile de continuer à rester camouflé.
Depuis les livres de mon frère se mirent à sortir sous la signature du père Alexandre. « Le sacrement, le Verbe et l’image » parut avec une photo et une biographie de l’auteur. Le livre précédent « Le Ciel sur la terre » n’avait aucune signature.
En 1981 le premier volume de la série « Les sources de la religion » fut réédité sous la signature Alexandre Men (E.Svetlov). Le pseudonyme Emmanuel Svetlov avait à l‘époque été proposé par mon frère. C’est pour ainsi dire grâce au KGB que les ouvrages du père Alexandre trouvaient en URSS de plus en plus de lecteurs. L’on savait que le prêtre Alexandre Men était le recteur d’une paroisse à Novaya Derevnja, non loin de Moscou. Les livres étaient retapés à la machine par des bénévoles, photocopiés quand cela était possible, c’étaient les méthodes du Samizdat à l’œuvre. Lors de perquisitions ces livres étaient trouvés un peu partout dans le pays, même dans les provinces les plus lointaines.
En 1975 le père Alexandre rédige ses commentaires de l’Ancien Testament, peu à peu ils sont incorporés dans les rééditions de la Bible de Bruxelles. En 1982 l’ensemble des commentaires des deux Testaments sort en livre à part sous le titre « Clé de la compréhension des Saintes Ecritures ». Entre nous nommions ce livre « la clé ».
Je dirigeai moi-même plusieurs cercles paroissiaux, « La Clé », les Commentaires, etc. m’étaient d’une grande utilité. Les éditions "Jyznj s Bogom" nous faisaient parvenir d’autres livres. Nous reçûmes ainsi le livre consacré par Louis Boulhiet aux Ecritures, ce fut pour moi une découverte. Il y a eu également « Vocabulaire de théologie biblique » de Léon Dufour. Mon frère correspondait avec cet auteur.
Nous faisions de notre mieux pour que chacun de nos cercles d’études soit en possession de ce livre.
Le père Alexandre envoyait aux éditions "Jyznj s Bogom" d’autres livres que les siens. Il cherchait et trouvait des lettres inédites de Vladimir Soloviev ; citons également la correspondance du père Serge Jeloudkov avec Kronid Lyubarsky
Mon frère avait présenté aux éditions Possev le recueil d’articles religieux de Zoya Khrakhmalnikova « L’espoir ». Zoya était une visiteuse fréquente de Novaïa Derevnia. Le père Alexandre contribua à la parution du manuscrit du père Serge Fudel « La voie des nos pères » ainsi que de l’ouvrage de l’archevêque Luc (Vojno-Yassenetzki) « L’esprit, l’âme et le corps » Saint Luke (Voino-Yasenetsky) . C’est avec l’aide et la bénédiction du père Alexandre que le célèbre écrivain Marc Popovsky a élaboré « La biographie et la destinée de Vojno-Yassenetzki ».
Je suis loin d’être au courant de tout et je ne saurai énumérer la totalité de ce qui est paru par les soins de maisons d’éditions à l’étranger grâce aux efforts de mon frère. Il existe de nos jours à Moscou une maison d’édition nommée Jizn s Bogom qui perpétue la tradition de la maison mère de Bruxelles.
Anna Kourt: Comment a évolué la situation dans les années 80 ?
Pavel Men: Ce fut une époque trouble. Les nationalistes revenaient sur le devant de la scène. Des critiques à l’égard du père Alexandre se faisaient entendre, ce n’étaient pas encore des menaces. Des petits mots injurieux lui étaient envoyés par le public venu assister à ses cours. Malgré nos sollicitations Alexandre allait à sa paroisse et en revenait seul en prenant le train de banlieue.
Il fut invité à enseigner à l’Université des sciences humanitaires, ses cours y étaient consacrés à « L’introduction à la lecture de l’Ancien Testament ». Mon frère mit alors la dernière main son « Dictionnaire de la Bible » qui faisait sept volumes dactylographiés. Il avait l’intention de fonder une nouvelle maison d’édition nommée « Poutj » (La Voie). Il en avait même choisi le directeur qui, après la mort du père Alexandre fit paraître plusieurs de ses livres. Le projet consistait à sortir les œuvres de philosophes religieux russes tels que Frank, Boulgakov, Lossev, Chestov.
Photo: De gauche à droite Soljenytsine, le peintre Y. Titov, A.Men, années 1960
Pavel Men: Nous avons récemment appris que le 25 mars 1974 Andropov, alors Président du KGB, avait fait parvenir au Politburo une note dont l’un des alinéas disait :
« Plusieurs prêtres pro catholiques dirigée par A.Men (région de Moscou) inculquent dans leurs ouvrages théologiques que seul le catholicisme peut servir d’idéal à la vie de l’église. Ces manuscrits sont sortis clandestinement du pays et publiés par les éditions "Jyznj s Bogom" (Belgique). Puis ils sont diffusés en URSS ».
Et cela malgré toutes les précautions que dont s’entourait le père Alexandre.
Une telle note ne pouvait être que l’aboutissement d’une enquête secrète approfondie. Il va de soi que la note n’avait rien à voir avec la vision qu’avaient Andropov et ses collaborateurs des relations entre l’orthodoxie et le catholicisme. Andropov savait parfaitement, j’en suis persuadé, qu’il n’existait pas de « groupe de prêtres pro catholiques ». C’était là une simple clause de style, une manifestation de « vigilance », une manipulation idéologique.
Les murs de nos appartements avaient des oreilles. On pouvait également supposer que le KGB était informé par ses agents à l’étranger. C’est de toute évidence à cette époque que les pseudonymes d’Alexandre furent démasqués.
Vers la fin des années 70 un fonctionnaire « des organes spéciaux » appela Alexandre et lui fixa rendez-vous. La rencontre eut lieu dans une rue de Moscou. « Etes-vous bien Svetlov, Pavlov, Bogolioubov ? » interrogea le fonctionnaire d’un ton semi affirmatif. Il devenait inutile de continuer à rester camouflé.
Depuis les livres de mon frère se mirent à sortir sous la signature du père Alexandre. « Le sacrement, le Verbe et l’image » parut avec une photo et une biographie de l’auteur. Le livre précédent « Le Ciel sur la terre » n’avait aucune signature.
En 1981 le premier volume de la série « Les sources de la religion » fut réédité sous la signature Alexandre Men (E.Svetlov). Le pseudonyme Emmanuel Svetlov avait à l‘époque été proposé par mon frère. C’est pour ainsi dire grâce au KGB que les ouvrages du père Alexandre trouvaient en URSS de plus en plus de lecteurs. L’on savait que le prêtre Alexandre Men était le recteur d’une paroisse à Novaya Derevnja, non loin de Moscou. Les livres étaient retapés à la machine par des bénévoles, photocopiés quand cela était possible, c’étaient les méthodes du Samizdat à l’œuvre. Lors de perquisitions ces livres étaient trouvés un peu partout dans le pays, même dans les provinces les plus lointaines.
En 1975 le père Alexandre rédige ses commentaires de l’Ancien Testament, peu à peu ils sont incorporés dans les rééditions de la Bible de Bruxelles. En 1982 l’ensemble des commentaires des deux Testaments sort en livre à part sous le titre « Clé de la compréhension des Saintes Ecritures ». Entre nous nommions ce livre « la clé ».
Je dirigeai moi-même plusieurs cercles paroissiaux, « La Clé », les Commentaires, etc. m’étaient d’une grande utilité. Les éditions "Jyznj s Bogom" nous faisaient parvenir d’autres livres. Nous reçûmes ainsi le livre consacré par Louis Boulhiet aux Ecritures, ce fut pour moi une découverte. Il y a eu également « Vocabulaire de théologie biblique » de Léon Dufour. Mon frère correspondait avec cet auteur.
Nous faisions de notre mieux pour que chacun de nos cercles d’études soit en possession de ce livre.
Le père Alexandre envoyait aux éditions "Jyznj s Bogom" d’autres livres que les siens. Il cherchait et trouvait des lettres inédites de Vladimir Soloviev ; citons également la correspondance du père Serge Jeloudkov avec Kronid Lyubarsky
Mon frère avait présenté aux éditions Possev le recueil d’articles religieux de Zoya Khrakhmalnikova « L’espoir ». Zoya était une visiteuse fréquente de Novaïa Derevnia. Le père Alexandre contribua à la parution du manuscrit du père Serge Fudel « La voie des nos pères » ainsi que de l’ouvrage de l’archevêque Luc (Vojno-Yassenetzki) « L’esprit, l’âme et le corps » Saint Luke (Voino-Yasenetsky) . C’est avec l’aide et la bénédiction du père Alexandre que le célèbre écrivain Marc Popovsky a élaboré « La biographie et la destinée de Vojno-Yassenetzki ».
Je suis loin d’être au courant de tout et je ne saurai énumérer la totalité de ce qui est paru par les soins de maisons d’éditions à l’étranger grâce aux efforts de mon frère. Il existe de nos jours à Moscou une maison d’édition nommée Jizn s Bogom qui perpétue la tradition de la maison mère de Bruxelles.
Anna Kourt: Comment a évolué la situation dans les années 80 ?
Pavel Men: Ce fut une époque trouble. Les nationalistes revenaient sur le devant de la scène. Des critiques à l’égard du père Alexandre se faisaient entendre, ce n’étaient pas encore des menaces. Des petits mots injurieux lui étaient envoyés par le public venu assister à ses cours. Malgré nos sollicitations Alexandre allait à sa paroisse et en revenait seul en prenant le train de banlieue.
Il fut invité à enseigner à l’Université des sciences humanitaires, ses cours y étaient consacrés à « L’introduction à la lecture de l’Ancien Testament ». Mon frère mit alors la dernière main son « Dictionnaire de la Bible » qui faisait sept volumes dactylographiés. Il avait l’intention de fonder une nouvelle maison d’édition nommée « Poutj » (La Voie). Il en avait même choisi le directeur qui, après la mort du père Alexandre fit paraître plusieurs de ses livres. Le projet consistait à sortir les œuvres de philosophes religieux russes tels que Frank, Boulgakov, Lossev, Chestov.
Photo: Le bureau du père Alexandre
Anna Kourt: Est-ce que le père Alexandre pressentait ce qui allait se passer le 9 septembre 1990 ?
Pavel Men: Cela n’est pas impossible. Il lui arrivait de dire – il nous reste peu de temps…
Anna Kourt: Qu’est-il resté dans votre mémoire du 9 septembre 1990 ?
Pavel Men: Nous habitions avec ma famille une datcha non loin de l’église où officiait le père Alexandre, cela facilitait nos rencontres. Ce dimanche nous allâmes comme d’habitude à l’office avec mes enfants. Le père Alexandre était en retard. Or, je savais qu’être en retard aux offices ne lui arrivait jamais dans la vie et je craignais que quelque chose de terrible s’était passé. Un autre prêtre dit la liturgie. Dès 11 heures nous avions appris l’assassinat. La nouvelle nous traumatisa tous, ses proches, ses amis, les paroissiens. La vie de mon frère a été interrompue alors qu’il était hyper actif ; il n’avait que 55 ans. Pouvons-nous seulement nous imaginer tout ce qu’il aurait pu faire au cours des vingt ans qui se écoulés depuis sa disparition…
Anna Kourt: Qui est coupable de ce meurtre ?
Pavel Men: Je dispose de preuves indirectes de ce que la culpabilité en incombe au KGB. La politique en vigueur à l’époque consistait à éliminer les mouvements qui étaient en plein essor. Je vous ai dit que le président du KGB Andropov avait en 1974 adressé au Politburo une note consacrée aux personnes les plus actives au sein de l’église. L’existence même de cette note en dit long. Jusqu’en 1985 le KGB constituait un dossier sur le père Alexandre en vue de l’incarcérer. Le métropolite Philarète (Vakhrameev) nous avait dit : - c’est le métropolite Juvénal qui a pris la défense du père Alexandre et qui l’a sauvé.
Mais au début des années 80 la situation avait changé. Le millénaire du baptême de la Rus s’approchait. Gorbatchev avait reçu le patriarche et il était devenu bien plus difficile d’arrêter un prêtre sans motif sérieux. Le père Alexandre était sous surveillance constante. L’un de ses paroissiens fut arrêté et dit aux interrogateurs qu’il existait un réseau de « cercles restreints » auxquels des cours étaient donnés. La femme de ce paroissien enseignait dans une école du dimanche ce qui était interdit. Ces tensions provoquèrent chez le père Alexandre une crise de psoriasis.
Anna Kourt: Pouvez-vous parlez plus en détails de la manière dont s’était déroulée l’enquête ?
Pavel Men: Le père Gleb Yakounine a eu accès aux archives du KGB au début des années 90 (cette période a été très courte). Il se rendit compte que dès les années 70 le père Alexandre faisait l’objet d’une surveillance très serrée.
Que sais-je de l’enquête ? J’ai été le témoin de la perquisition opérée dans le bureau du père Alexandre à Novaya Derevnia. J’ai exprimé ma sympathie au milicien qui procédait à la perquisition lui disant que son travail était difficile. – Rien de compliqué, répondit-il. Tout est décidé là-haut, je n’ai qu’à suivre les ordres.
Quelque temps plus tard je fus convoqué à un interrogatoire. Rapidement je me rendis compte qu’il ne s’agissait que d’une simple formalité et que le but recherché n’était pas d’établir la vérité. C’est ce que je dis au fonctionnaire qui m’interrogeait. En réponse il sourit : - nous travaillons, voyez, nous avons déjà accumulé dix volumes entiers de procès-verbaux.
Les premières agences de détectives privés avaient fait leur apparition. Ilya Zasslavsky, le président de la municipalité de district, eut recours aux services de l’une d’entre elles afin de pouvoir y voir plus clair. Voici ce que lui raconta le détective de l’agence : - la milice nous vient d’habitude en aide car ils sont intéressés à obtenir des résultats. En l’occurrence nous n’avons pas eu accès aux pièces du dossier. Même le vice-ministre auquel nous nous étions adressés nous opposa un refus.
L’avocat de l’une des personnes inculpées pour la forme nous raconta qu’à la suite de l’assassinat l’herbe fut fauchée sur le lieu de l’évènement, que l’on attendit la pluie et que ce n’est qu’après que l’on fit venir des chiens policiers. Il leur fut, bien sûr, impossible de prendre une piste. Mais les enquêteurs faisaient semblant de leur mieux : l’étang voisin fut asséché afin d’y trouver une hache que l’on supposait être l’arme du crime. Cependant le médecin légiste qui avait procédé à l’autopsie m’avait dit que le coup mortel avait été porté par un professionnel qui devait probablement s’être servi d’une pelle de sapeur.
J’ai récemment appris que Viatcheslav Ivanov avait entendu de la bouche du ministre de l’intérieur que le KGB avait eu recours aux services d’un criminel tiré des camps lui promettant la liberté pour son forfait, puis l’avait lui-même supprimé.
Le motif du meurtre ? La note d’Andropov en dit long. Il était trop tard après l’intervention du métropolite Juvénal d’emprisonner le père Alexandre. Il fut alors décidé de l’éliminer sans trop de bruit. Il se peut que ce soit la décision d’un fonctionnaire d’un niveau moyen désireux de montrer ce dont il était capable et, du coup, de se venger du père Alexandre.
Anna Kourt: Est-ce que le père Alexandre pressentait ce qui allait se passer le 9 septembre 1990 ?
Pavel Men: Cela n’est pas impossible. Il lui arrivait de dire – il nous reste peu de temps…
Anna Kourt: Qu’est-il resté dans votre mémoire du 9 septembre 1990 ?
Pavel Men: Nous habitions avec ma famille une datcha non loin de l’église où officiait le père Alexandre, cela facilitait nos rencontres. Ce dimanche nous allâmes comme d’habitude à l’office avec mes enfants. Le père Alexandre était en retard. Or, je savais qu’être en retard aux offices ne lui arrivait jamais dans la vie et je craignais que quelque chose de terrible s’était passé. Un autre prêtre dit la liturgie. Dès 11 heures nous avions appris l’assassinat. La nouvelle nous traumatisa tous, ses proches, ses amis, les paroissiens. La vie de mon frère a été interrompue alors qu’il était hyper actif ; il n’avait que 55 ans. Pouvons-nous seulement nous imaginer tout ce qu’il aurait pu faire au cours des vingt ans qui se écoulés depuis sa disparition…
Anna Kourt: Qui est coupable de ce meurtre ?
Pavel Men: Je dispose de preuves indirectes de ce que la culpabilité en incombe au KGB. La politique en vigueur à l’époque consistait à éliminer les mouvements qui étaient en plein essor. Je vous ai dit que le président du KGB Andropov avait en 1974 adressé au Politburo une note consacrée aux personnes les plus actives au sein de l’église. L’existence même de cette note en dit long. Jusqu’en 1985 le KGB constituait un dossier sur le père Alexandre en vue de l’incarcérer. Le métropolite Philarète (Vakhrameev) nous avait dit : - c’est le métropolite Juvénal qui a pris la défense du père Alexandre et qui l’a sauvé.
Mais au début des années 80 la situation avait changé. Le millénaire du baptême de la Rus s’approchait. Gorbatchev avait reçu le patriarche et il était devenu bien plus difficile d’arrêter un prêtre sans motif sérieux. Le père Alexandre était sous surveillance constante. L’un de ses paroissiens fut arrêté et dit aux interrogateurs qu’il existait un réseau de « cercles restreints » auxquels des cours étaient donnés. La femme de ce paroissien enseignait dans une école du dimanche ce qui était interdit. Ces tensions provoquèrent chez le père Alexandre une crise de psoriasis.
Anna Kourt: Pouvez-vous parlez plus en détails de la manière dont s’était déroulée l’enquête ?
Pavel Men: Le père Gleb Yakounine a eu accès aux archives du KGB au début des années 90 (cette période a été très courte). Il se rendit compte que dès les années 70 le père Alexandre faisait l’objet d’une surveillance très serrée.
Que sais-je de l’enquête ? J’ai été le témoin de la perquisition opérée dans le bureau du père Alexandre à Novaya Derevnia. J’ai exprimé ma sympathie au milicien qui procédait à la perquisition lui disant que son travail était difficile. – Rien de compliqué, répondit-il. Tout est décidé là-haut, je n’ai qu’à suivre les ordres.
Quelque temps plus tard je fus convoqué à un interrogatoire. Rapidement je me rendis compte qu’il ne s’agissait que d’une simple formalité et que le but recherché n’était pas d’établir la vérité. C’est ce que je dis au fonctionnaire qui m’interrogeait. En réponse il sourit : - nous travaillons, voyez, nous avons déjà accumulé dix volumes entiers de procès-verbaux.
Les premières agences de détectives privés avaient fait leur apparition. Ilya Zasslavsky, le président de la municipalité de district, eut recours aux services de l’une d’entre elles afin de pouvoir y voir plus clair. Voici ce que lui raconta le détective de l’agence : - la milice nous vient d’habitude en aide car ils sont intéressés à obtenir des résultats. En l’occurrence nous n’avons pas eu accès aux pièces du dossier. Même le vice-ministre auquel nous nous étions adressés nous opposa un refus.
L’avocat de l’une des personnes inculpées pour la forme nous raconta qu’à la suite de l’assassinat l’herbe fut fauchée sur le lieu de l’évènement, que l’on attendit la pluie et que ce n’est qu’après que l’on fit venir des chiens policiers. Il leur fut, bien sûr, impossible de prendre une piste. Mais les enquêteurs faisaient semblant de leur mieux : l’étang voisin fut asséché afin d’y trouver une hache que l’on supposait être l’arme du crime. Cependant le médecin légiste qui avait procédé à l’autopsie m’avait dit que le coup mortel avait été porté par un professionnel qui devait probablement s’être servi d’une pelle de sapeur.
J’ai récemment appris que Viatcheslav Ivanov avait entendu de la bouche du ministre de l’intérieur que le KGB avait eu recours aux services d’un criminel tiré des camps lui promettant la liberté pour son forfait, puis l’avait lui-même supprimé.
Le motif du meurtre ? La note d’Andropov en dit long. Il était trop tard après l’intervention du métropolite Juvénal d’emprisonner le père Alexandre. Il fut alors décidé de l’éliminer sans trop de bruit. Il se peut que ce soit la décision d’un fonctionnaire d’un niveau moyen désireux de montrer ce dont il était capable et, du coup, de se venger du père Alexandre.
Alexandre Men ne se séparait jamais de ce cartable, il l'avait le jour où il a été assassiné le 9 septembre 1990
Anna Kourt: Qu’est-il advenu du patrimoine laissé par le père Alexandre ? Quels sont les objectifs du Fonds que vous dirigez ? Qu’en est-il des traductions des livres du père Alexandre dans d’autres langues ?
Pavel Men: Aucun de ses livres n’a été édité en Russie de son vivant. Actuellement leur tirage dépasse les sept millions. Les gens les collectionnent, procèdent à des échanges, c’est désormais une dimension nouvelle. Nous avons commencé par mettre en place un Comité du patrimoine, préfiguration des éditions et du Fonds actuels. Au début nous étions, Natalia Fedorovna, la veuve du père Alexandre, son fils Michel et moi-même un peu désemparés face à l’ampleur de la tâche. Nous ne savions pas très bien comment faire et où aller. Dès avant 1992 nous recevions de nombreuses offres d’aide. Pour mieux coordonner nos efforts nous avons crée le Fonds humanitaire Alexandre Men.
C’est en 1992 que les éditions "Iskousstvo" sortent un premier recueil d’homélies et de conférences publiées par Leonid Vassilenko. Puis ce fut le tour des principaux travaux du père Alexandre réunis dans le recueil « La culture spirituelle du monde. Chrétienté. Eglise ». Tout récemment nous avons édité un cycle de conférences dont le titre est « Introduction à l’Ancien Testament ».
L’un de ses étudiants avait enregistré sur cassette les cours du père Alexandre et nous a remis cet enregistrement. Ils ont été publiés sous le titre « De l’esclavage à la liberté ».
Au début nous nous hâtions craignant que la possibilité de poursuivre ne disparaisse. En effet, les enregistrements en possession du Comité d’Etat pour la radiodiffusion avaient été perdus, les cassettes gardées par les studios de télévision avaient été effacées… Mikhaïl Sokolov qui avait effectué les enregistrements vidéo des interventions du père Alexandre était devenu l’objet d’une chasse à l’homme. Prudemment il avait changé de domicile peu après l’assassinat. Sa mère n’ouvrait pas à des inconnus. Une fois ils ne se privèrent pas de l’avertir à travers la porte : - s’il ne nous donne pas les cassettes il risque de se faire écraser par une voiture. Sa sœur, Elena Gayt, décrit tout ceci en détails dans ses souvenirs.
Des traductions des livres que nous éditions sortaient très rapidement. C’est notre ami le hiéromoine Jean (Gouyata) qui se chargea des versions française et italienne. Il fait actuellement partie du clergé de la paroisse de la Vierge de Tous les Affligés à Moscou.
Chacune de ces traductions a son histoire. La version allemande, par exemple, est l’œuvre de Monica Sherhorn. Son mari, d’origine russe, était agent de renseignement en Allemagne. Elle l’épousa étant membre des jeunesses communistes et athée. C’est précisément une telle épouse qu’il fallait à l’espion. Puis ce fût la perestroïka et la chute du Mur. Le Centre ordonna à son agent de réintégrer le pays. Etant entretemps devenu citoyen allemand, il refusa d’obtempérer. Sous la menace il revint en Russie, puis émigra y laissant sa femme, allemande de souche, étant certain qu’elle pourra le suivre. Le KGB trouva un prétexte pour l’arrêter et la faire condamner sous un prétexte futile.
Dans les camps elle perfectionnait son russe. La lecture du « Fils de l’Homme » lui ouvrit les yeux sur le monde et sur elle-même. Elle avait trouvé la foi. Son mari faisait de son mieux pour la faire sortir du camp, il y réussit enfin avec l’aide de l’ambassade d’Allemagne. De retour au pays Monica traduisit « Le Fils de l’Homme ». Sa traduction fut publiée. J’ai prié Monica de me raconter d’une manière plus circonstanciée les malheurs qu’elle avait vécus ainsi que son cheminement spirituel. Mais ces souvenirs lui étaient trop pénibles.
Anna Kourt : Comment définiriez-vous la stature exceptionnelle du père Alexandre ?
Pavel Men: De nos jours le clergé et les évêques disent souvent que le père Alexandre faisait précisément ce que fait l’Eglise de nos jours. Mais si nous nous souvenions de l’action du père Alexandre les deux dernières années de sa vie nous verrions que sa démarche était foncièrement autre. Elle était essentiellement axée sur le vecteur culturel. Il savait que l’homme moderne pouvait venir à la foi par la culture. A la foi et non au ritualisme auquel l’homme était enclin de tous temps, à commencer par la préhistoire. Il tenait à monter une approche nouvelle des autres confessions chrétiennes et de l’hétérodoxie. Il savais que l’on pouvait venir à Dieu par les voies les plus diverses. Dans sa mission le Christ prévalait sur la Tradition. Cela dit le père Alexandre accordait une très grande importance à la tradition, surtout pour la vie des familles et l’éducation des enfants.
Voici, brièvement, l’énumération de ce qu’il a réussi à faire pendant les dernières années de sa vie. Près de deux cent interventions publiques. Une chaîne de télévision avait signé avec le père Alexandre pour des émissions mensuelles. La première d’entre elles fut diffusée sous le titre « Questions immanentes ».
Plusieurs autres furent enregistrées. Mais peu après l’assassinat les enregistrements furent effacés et nous ne sûmes jamais qui avait fait cela et pourquoi. C’est le père Alexandre qui a crée la première école paroissiale du dimanche. Fondation de l’association « Renaissance culturelle ». Retour à la vie de le la « Société biblique », le père Alexandre persuade Sergueï Averintzev d’en devenir le président. Publication de deux livres aux éditions "Radouga" et "Malych". Les groupes d’étude du Nouveau Testament fondés dans les années 70. Création et diffusion de plusieurs diaporamas. Publication dans la revue Asia i Afrika d’une préface à l’évangile selon Saint Marc. Organisation d’une rencontre avec un mollah, ceci afin de monter que les deux religions peuvent interagir. Cette rencontre reste jusqu’à présent la seule.
Très peu de clercs, malheureusement, continuent à rester fidèles à cette attitude, essentiellement christianocentrique et axée sur l’unité de la foi et de la culture
Le texte a été abrégé par le traducteur
Anna Kourt: Qu’est-il advenu du patrimoine laissé par le père Alexandre ? Quels sont les objectifs du Fonds que vous dirigez ? Qu’en est-il des traductions des livres du père Alexandre dans d’autres langues ?
Pavel Men: Aucun de ses livres n’a été édité en Russie de son vivant. Actuellement leur tirage dépasse les sept millions. Les gens les collectionnent, procèdent à des échanges, c’est désormais une dimension nouvelle. Nous avons commencé par mettre en place un Comité du patrimoine, préfiguration des éditions et du Fonds actuels. Au début nous étions, Natalia Fedorovna, la veuve du père Alexandre, son fils Michel et moi-même un peu désemparés face à l’ampleur de la tâche. Nous ne savions pas très bien comment faire et où aller. Dès avant 1992 nous recevions de nombreuses offres d’aide. Pour mieux coordonner nos efforts nous avons crée le Fonds humanitaire Alexandre Men.
C’est en 1992 que les éditions "Iskousstvo" sortent un premier recueil d’homélies et de conférences publiées par Leonid Vassilenko. Puis ce fut le tour des principaux travaux du père Alexandre réunis dans le recueil « La culture spirituelle du monde. Chrétienté. Eglise ». Tout récemment nous avons édité un cycle de conférences dont le titre est « Introduction à l’Ancien Testament ».
L’un de ses étudiants avait enregistré sur cassette les cours du père Alexandre et nous a remis cet enregistrement. Ils ont été publiés sous le titre « De l’esclavage à la liberté ».
Au début nous nous hâtions craignant que la possibilité de poursuivre ne disparaisse. En effet, les enregistrements en possession du Comité d’Etat pour la radiodiffusion avaient été perdus, les cassettes gardées par les studios de télévision avaient été effacées… Mikhaïl Sokolov qui avait effectué les enregistrements vidéo des interventions du père Alexandre était devenu l’objet d’une chasse à l’homme. Prudemment il avait changé de domicile peu après l’assassinat. Sa mère n’ouvrait pas à des inconnus. Une fois ils ne se privèrent pas de l’avertir à travers la porte : - s’il ne nous donne pas les cassettes il risque de se faire écraser par une voiture. Sa sœur, Elena Gayt, décrit tout ceci en détails dans ses souvenirs.
Des traductions des livres que nous éditions sortaient très rapidement. C’est notre ami le hiéromoine Jean (Gouyata) qui se chargea des versions française et italienne. Il fait actuellement partie du clergé de la paroisse de la Vierge de Tous les Affligés à Moscou.
Chacune de ces traductions a son histoire. La version allemande, par exemple, est l’œuvre de Monica Sherhorn. Son mari, d’origine russe, était agent de renseignement en Allemagne. Elle l’épousa étant membre des jeunesses communistes et athée. C’est précisément une telle épouse qu’il fallait à l’espion. Puis ce fût la perestroïka et la chute du Mur. Le Centre ordonna à son agent de réintégrer le pays. Etant entretemps devenu citoyen allemand, il refusa d’obtempérer. Sous la menace il revint en Russie, puis émigra y laissant sa femme, allemande de souche, étant certain qu’elle pourra le suivre. Le KGB trouva un prétexte pour l’arrêter et la faire condamner sous un prétexte futile.
Dans les camps elle perfectionnait son russe. La lecture du « Fils de l’Homme » lui ouvrit les yeux sur le monde et sur elle-même. Elle avait trouvé la foi. Son mari faisait de son mieux pour la faire sortir du camp, il y réussit enfin avec l’aide de l’ambassade d’Allemagne. De retour au pays Monica traduisit « Le Fils de l’Homme ». Sa traduction fut publiée. J’ai prié Monica de me raconter d’une manière plus circonstanciée les malheurs qu’elle avait vécus ainsi que son cheminement spirituel. Mais ces souvenirs lui étaient trop pénibles.
Anna Kourt : Comment définiriez-vous la stature exceptionnelle du père Alexandre ?
Pavel Men: De nos jours le clergé et les évêques disent souvent que le père Alexandre faisait précisément ce que fait l’Eglise de nos jours. Mais si nous nous souvenions de l’action du père Alexandre les deux dernières années de sa vie nous verrions que sa démarche était foncièrement autre. Elle était essentiellement axée sur le vecteur culturel. Il savait que l’homme moderne pouvait venir à la foi par la culture. A la foi et non au ritualisme auquel l’homme était enclin de tous temps, à commencer par la préhistoire. Il tenait à monter une approche nouvelle des autres confessions chrétiennes et de l’hétérodoxie. Il savais que l’on pouvait venir à Dieu par les voies les plus diverses. Dans sa mission le Christ prévalait sur la Tradition. Cela dit le père Alexandre accordait une très grande importance à la tradition, surtout pour la vie des familles et l’éducation des enfants.
Voici, brièvement, l’énumération de ce qu’il a réussi à faire pendant les dernières années de sa vie. Près de deux cent interventions publiques. Une chaîne de télévision avait signé avec le père Alexandre pour des émissions mensuelles. La première d’entre elles fut diffusée sous le titre « Questions immanentes ».
Plusieurs autres furent enregistrées. Mais peu après l’assassinat les enregistrements furent effacés et nous ne sûmes jamais qui avait fait cela et pourquoi. C’est le père Alexandre qui a crée la première école paroissiale du dimanche. Fondation de l’association « Renaissance culturelle ». Retour à la vie de le la « Société biblique », le père Alexandre persuade Sergueï Averintzev d’en devenir le président. Publication de deux livres aux éditions "Radouga" et "Malych". Les groupes d’étude du Nouveau Testament fondés dans les années 70. Création et diffusion de plusieurs diaporamas. Publication dans la revue Asia i Afrika d’une préface à l’évangile selon Saint Marc. Organisation d’une rencontre avec un mollah, ceci afin de monter que les deux religions peuvent interagir. Cette rencontre reste jusqu’à présent la seule.
Très peu de clercs, malheureusement, continuent à rester fidèles à cette attitude, essentiellement christianocentrique et axée sur l’unité de la foi et de la culture
Le texte a été abrégé par le traducteur
Pavel Volfovitch Men, le frère cadet du père Alexandre
2016 Le métropolite Juvénal officie la prière des défunts sur la tombe du père Alexandre
2016 Le métropolite Juvénal officie la prière des défunts sur la tombe du père Alexandre
Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 9 Septembre 2019 à 05:29
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